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5 conclusions à éviter quand on recrute

Conclusion hâtive : les 5 à éviter lorsqu’on recrute

“Quand tout ce que vous avez à votre disposition est un marteau, tout se met subitement à ressembler à un clou”

Je suis toujours étonné quand je forme des recruteurs et des recruteuses et qu‘on me donne des verdicts très ferme sur les candidats. À partir d’un seul indice. Par exemple : il manquait de savoir-être au téléphone pendant la préqualification, il m’a tutoyé d’emblée. Du coup je ne l’ai pas retenu.

Ah oui quand même… à partir d’un seul événement on est capable de dire que la personne dans son entier manque de savoir-être ! Si on met de côté la violence de l’expression, ça me paraît quand même assez expéditif.

LIRE ‘Le savoir-être existe-t-il ?

On se moque souvent des posts LinkedIn où les gens disent regardez si le candidat propose de nettoyer la tasse que vous lui avez offerte au début de l’entretien. Ou encore si jamais la poignée de main n’est pas ferme, ça vous montre que le candidat n’a pas de leadership.

Mais, pourtant, nous faisons exactement pareil avec d’autres items moins clichés. Parce que c’est tentant. On a envie de croire qu’il suffit d’analyser un indice pour déduire toute une personnalité. On a envie de croire qu’on a le talent de voir à travers les gens.

La vérité c’est que personne n’a un tel talent : sinon nous n’aurions pas besoin d’avoir des tribunaux. Il suffirait de ramener un de ces recruteurs qui sent les gens pour nous dire si la personne est coupable.

S’il y a bien quelque chose que j’ai appris dans mon cursus académique c’est de nous méfier des conclusions hâtives. Ce n’est pas pour rien si la méthode scientifique consiste à essayer en permanence de réfuter ce que l’on pense vrai et non pas à le valider.

D’ailleurs on ne dit pas que quelque chose est scientifiquement vrai, on dit que c’est corroboré. Parce que vous pouvez passez des centaines d’années à ne voir que des cygnes blancs… chaque cygne blanc supplémentaire va corroborer l’hypothèse selon laquelle tous les cygnes sont blancs. Mais il suffit d’un seul cygne noir observé pour la réfuter.

Cette démarche devrait s’appliquer tout aussi fortement en recrutement : on observe des choses, on fait des hypothèses sur la personnalité et on essaie de corroborer. On ne se dit jamais c’est sûr et certain que c’est comme ceci.
J’aime beaucoup ce mot de corroborer qui inclut l’idée que chaque preuve qu’on ajoute solidifie un peu plus l’hypothèse, mais qu’on atteindra jamais la certitude absolue de sa véracité.

Ceci étant dit voici quelques exemples où, selon moi, la conclusion est beaucoup trop hâtive.

Conclusion “Il ou elle manque de savoir-être”


La notion de savoir-être est déjà, en soi, très discutable. On en a déjà parlé. En effet, qu’entendons-nous par là ? La politesse ? La ponctualité ? Les bonnes manières ? Mais surtout, ça n’est rien de plus qu’une insulte déguisée sous une tournure de langage professionnelle.

J’ai rencontré des recruteurs et des recruteuses qui admettaient manquer d’aisance dans l’écriture. Ou alors à l’oral. J’en ai rencontré qui admettaient manquer de rigueur. Ou au contraire manquer de souplesse.

Parce que ce sont de vraies compétences. On peut en manquer et admettre qu’on en manque.

En revanche, je n’ai jamais rencontré une seule personne qui me dit je manque de savoir-être. C’est toujours pour désigner une autre personne, souvent sur un ton agacé. Ça n’est qu’une insulte soft. Voilà pourquoi on ne s’auto-désigne pas comme ça. D’ailleurs, souvent, la personne dont vous dites qu’elle manque de savoir-être dit la même chose de vous à ses proches. En d’autres termes le courant n’est pas passé entre vous pour X ou Y raisons.

Mais admettons qu’on essaie d’évaluer par exemple la politesse. Est-ce que quelqu’un qui vous tutoie d’emblée manque de politesse ? Pas nécessairement. Ça peut être l’effet du stress : il m’est déjà arrivé de tutoyer accidentellement quelqu’un puis de m’y tenir en me disant foutu pour foutu…


Ça peut aussi être une convention de son environnement professionnel. Par exemple, j’ai fait un stage d’un an (à l’époque où c’était légal) chez IBM et tout le monde se tutoyait, c’était comme ça. C’était ma première expérience professionnelle, ça m’a forgé. Du coup j’ai le réflexe de tutoyer dans le monde professionnel.

Autre conclusion hâtive… en formation une recruteuse m’a dit moi les gens qui me répondent de manière expéditive en préqualification, je nexte.
J’ai alors cherché à comprendre ce qui pouvait susciter cette réaction. J’ai demandé si elle s’entendait avec les candidat·es pour les appeler à une heure précise. Elle m’a répondu que non.

Mais, du coup, à la fois tu les appelles à l’improviste, par surprise et à la fois tu veux qu’ils soient dans des conditions parfaites de réponse. C’est l’un ou l’autre : si tu les appelles sans les prévenir il faut accepter que certains seront pris à dépourvu.

De manière générale, si vous avez l’impression que quelqu’un manque de savoir-être, essayez de d’abord fouiller dans les causes externes à la personne avant d’évaluer les causes internes. Car nous sommes victimes de ce que les sciences sociales appellent l’erreur fondamentale d’attribution. Comme son nom l’indique, c’est une erreur si cruciale et courante qu’on la nomme fondamentale. Voici sa définition Wikipédia :

L’erreur fondamentale d’attribution est un biais psychologique qui consiste à accorder une importance disproportionnée aux caractéristiques internes d’un agent (caractère, intentions, émotions, connaissances, opinions) au détriment des facteurs externes et situationnels (faits) dans l’analyse du comportement ou du discours d’une personne dans une situation donnée. À l’inverse, ce biais nous incite à considérer les facteurs externes et situationnels parfois de manière disproportionnée par rapport aux caractéristiques internes quand nous sommes à l’origine de la situation.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Je vais l’illustrer avec une autre anecdote de formation. Un des recruteurs me dit si j’appelle un candidat et qu’il me répond en chuchotant comme s’il était en réunion, je ne le rappelle plus ensuite : ça trahit un manque de savoir-être. On ne décroche pas pendant une réunion, ça ne se fait pas pour l’organisateur de la réunion.

Là-dessus je n’arrive pas à m’empêcher de m’exclamer : mais toi-même tu as fait ça deux fois aujourd’hui pendant la formation !


Photo de Tim Mossholder

Il m’a répondu qu’il avait des clients qui l’avaient appelé, qu’il avait vraiment une bonne raison à chaque fois. Ce dont je ne doutais pas par ailleurs. Je considère que dans une formation avec des adultes, si une personne s’absente c’est qu’elle a une bonne raison : elle fait ses choix en adulte. Je ne fais pas la police.

Mais c’est la réponse que j’ai trouvé folle. C’est un parfait exemple de l’erreur fondamentale d’attribution. Quand c’est le candidat qui décroche en réunion il l’analyse avec une cause interne : c’est le candidat qui manque en lui-même de savoir-être. Mais quand c’est lui qui décroche en réunion il l’analyse avec une cause externe : la situation le justifiait.

De la même manière on va se dire que les chômeurs n’ont pas un mental assez solide et que c’est pour ça qu’ils restent au chômage (cause interne) mais si ça nous arrive à nous on dira que c’est parce que le marché de l’emploi est compliqué (cause externe).

“La personne n’est pas intéressée puisqu’elle n’a pas répondu à un email”


Photo de Mohammad Mardani

J’entends une variante de cette conclusion à peu près chaque semaine, quand ce n’est chaque jour. La croyance selon laquelle une personne qui ne nous répond pas n’est pas intéressée. Alors, attention, quand je dis une personne qui ne nous répond pas, je parle ici de quelqu’un à qui on a envoyé un email.

Si vous allez voir quelqu’un dans un salon de recrutement, que vous lui adressez la parole, que la personne vous regarde et tourne les talons, probablement qu’elle ne voulait pas vous parler en effet.

Mais ce qui est marrant c’est qu’on interprète les emails de la même manière. Alors que, contrairement à ce qui se passe dans le monde physique, nous ne savons pas si la personne a lu, mais même vu, le message.

On conclut que la personne n’est pas intéressée par le poste qu’on lui propose alors qu’on ne sait même pas si elle a bien lu.

Il y a tellement de couches d’interprétation que l’on saute allègrement quand on saute à cette conclusion.

Premièrement, on l’a dit, peut-être que la personne n’a simplement pas vu le message dans sa boîte de réception.

Deuxièmement, peut-être qu’elle l’a vu mais qu’elle n’a pas compris l’objet. Voilà pourquoi je déconseille d’écrire opportunité ou opportunité professionnelle dans un objet de mail : ça ne veut pas dire grand chose. C’est de la langue de bois qu’on répète sans se poser la question. Mais si on se pose deux secondes ça peut vouloir tout et rien dire.

Troisièmement, peut-être qu’elle a vu l’objet, ouvert l’email, commencé à le lire, puis a été interrompue par quelque chose. Elle a ensuite oublié d’y revenir.

Quatrièmement, peut-être qu’elle a vu l’objet, ouvert l’email, commencé puis fini de le lire, puis a décidé d’y répondre plus tard. Mais le plus tard a duré trop de temps et maintenant elle n’ose plus répondre, elle se dit que c’est trop tard.

Cinquièmement, peut-être qu’elle a vu l’objet, ouvert l’email, commencé puis fini de le lire mais que l’email était tout simplement mal écrit. Elle n’a donc pas été intéressée par l’email. Mais c’est très différent de pas intéressée par le poste. Ça veut juste dire que l’email était trop flou.

Sixièmement, peut-être qu’elle a vu l’objet, ouvert l’email, commencé puis fini de le lire, qu’elle était potentiellement intéressée mais qu’on lui demandait déjà de répondre si oui ou non elle était intéressée. Le problème c’est qu’elle est en poste, qu’elle ne veut pas se positionner aussi tôt. Alors elle ne répond pas.

Septièmement… je pense que vous avez compris l’idée. Je peux faire ça toute la journée. Tout simplement parce que je m’interdis de sauter à la conclusion avant d’avoir exploré toutes les possibilités.

Ce qui est fou c’est que cette conclusion est si ancrée qu’elle explique pourquoi beaucoup de recruteurs et de recruteuses s’abstiennent de toute relance. En se disant que si de toutes façons on ne leur a pas répondu du premier coup c’était que la personne n’était pas intéressée.

“Les gens ne veulent plus travailler”


Photo de Sarah Adatte

Et encore, j’ai mis “les gens” mais souvent c’est “les jeunes”. Chaque fois je demande des illustrations de cette soudaine décadence du monde qui part à vau-l’eau. Souvent on me rapporte des exemples sur des métiers mal rémunérés et je me demande comment on fait pour arriver à se déconnecter au point d’oublier que ce sont des métiers mal rémunérés.

Parfois on voit des recruteurs parler de métier au SMIC dans un environnement compliqué comme si c’était “l’opportunité” d’une vie. Et ne pas comprendre que personne ne veuille occuper le poste.

Mais la discussion qui m’a le plus marqué était celle-ci :

– Les gens ne veulent plus travailler de nos jours
– Ah bon ? Pourquoi tu dis ça ?
– Je vais te donner un exemple : la dernière fois j’ai proposé un entretien à une candidate au chômage. Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait pas venir à cette date car elle était en vacances
– Oui et donc ?
– Mais comment ça ? Depuis quand on est en vacances de son chômage ? C’est la preuve qu’elle n’a pas vraiment envie de travailler.

Là encore c’est une conclusion très hâtive. Il y a tellement de couches d’interprétation qui viennent s’interposer. À commencer par le fait d’ignorer le malaise de la personne. On ne sait pas si elle a dit la vérité. Quand j’étais recruteur j’ai fait face une fois à une personne qui cherchait du travail mais qui disait rapidement non aux propositions. J’ai un peu fouillé et il m’a vite parlé d’un burn-out qu’il avait fait dans son expérience précédente. Je lui ai alors suggéré de prendre des vraies vacances pour prendre du recul, de l’énergie et revenir.

Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que je trouve que ça illustre bien à quel point on ne sait pas ce qui pousse une personne à ne pas travailler. La probabilité de tomber sur une personne qui ne veut pas travailler parce qu’elle est fainéante est très faible. Croire l’inverse c’est nier tout ce que les sciences sociales nous apprennent, tout ce que les témoignages nous montrent. Du coup, il vaut mieux essayer de partir du principe qu’une information nous manque.

La question est très complexe : quelqu’un qui semble ne pas vouloir travailler peut en réalité être en pleine dépression. Et quand je dis dépression je ne veux pas dire déprime mais bien un trouble dépressif caractérisé. Elle ne vous le dira pas forcément, elle ne le sait d’ailleurs pas forcément.

Ou alors il peut s’agir d’un problème familial : par exemple devoir s’occuper d’un proche et avoir besoin d’un travail vraiment flexible.

Ou de manière beaucoup plus terre-à-terre peut-être que le salaire n’est pas assez élevé.

Encore une fois, il s’agit ici d’éviter l’erreur fondamentale d’attribution et nos préjugés.

“Quand tout ce que vous avez à votre disposition est un marteau, tout se met subitement à ressembler à un clou”. Si vous voulez croire que les gens sont fainéants alors vous verrez des gens fainéants. On appelle ça le biais de confirmation.

“On ne va pas recruter quelqu’un qui a une mauvaise orthographe”


Photo de Khaleelah Ajibola

Toujours en formation, j’explorais avec une apprenante des idées pour son sourcing. Elle cherchait des profils pénuriques et donc on essayait de trouver ensemble des manière d’élargir son périmètre de recherche. J’ai alors suggéré de regarder ce que ça donnerait si on faisait une coquille au titre du poste.

Elle a immédiatement répondu mais on veut pas recruter quelqu’un qui fait des fautes.

Vu le métier (qui était totalement manuel) j’ai été étonné et j’ai demandé si dans son quotidien la personne avait besoin d’avoir une bonne orthographe : non mais ça montre aussi sa rigueur.

Alors… non. L’orthographe ne révèle pas la rigueur d’une personne. Je suis assez peu rigoureux et j’ai une excellente orthographe. En revanche, j’ai un ami ingénieur qui est très rigoureux mais qui a du mal avec l’orthographe. Précisément parce qu’il est rigoureux d’ailleurs. Donc il ne comprend pas pourquoi il y a des exceptions, pourquoi l’écriture est si peu phonétique, etc.

Mais avant même d’arriver à là on a encore sauté des couches d’interprétation. En effet, comment on déduit, à partir d’une seule coquille dans un CV/profil que la personne a une mauvaise orthographe ? Si ça se trouve elle a créé le profil une fois rapidement puis n’est jamais revenu dessus. Et puis j’ai dit une faute et on me répond quelqu’un qui fait des fautes. Est-ce que faire une faute c’est faire des fautes ?

Sans compter que certaines personnes ont du mal avec l’orthographe pour des raisons profondes. C’est le cas des personnes dyslexiques. Je n’ai pas approfondi le sujet mais Google me dit qu’il y a environ 5% d’une classe d’âge d’élèves qui est dyslexique. C’est concordant avec ce que j’observe : dans une classe d’une vingtaine d’élèves j’ai effectivement en moyenne une personne dyslexique.
Toujours avec une brève recherche Google j’obtiens que : 7 % de la population adulte âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en France est en situation d’illettrisme, soit 2 500 000 personnes en métropole.

Et, parmi elles, 51% sont actives, c’est-à-dire dans le monde du travail.
Source : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/09/18/qui-sont-les-illettres-en-france_4490014_4355770.html

Alors on fait quoi ? On interdit tous les postes à ces personnes ? Pourquoi ? J’entends bien qu’on en fasse un critère dans les métiers où il faut écrire. Mais quand ce n’est pas le cas ? Pourquoi ce jugement moral ?

Quant à la rigueur… c’est parce qu’on confond le niveau intrinsèque en orthographe avec sa variation contextuelle. Effectivement, chaque personne va avoir une amplitude entre son orthographe quand elle n’est pas concentrée et son orthographe quand elle est concentrée. Mais le problème c’est qu’on ne peut pas comparer.

Je connais une personne dyslexique qui même en se concentrant très fort, a une orthographe moins bonne que moi quand j’écris à la va-vite. Par conséquent, observer le texte d’une personne dans un CV/profil sans point de comparaison ne vous apprend rien sur l’effort de rigueur qui a été investi. Pour voir mon niveau d’investissement il faudrait voir un texte de moi quand j’écris vite et un texte quand je prends le temps.

“La personne gère mal son stress”


Un classique de l’entretien. On voit quelqu’un stresser en entretien et on fait toutes sortes de conclusion. L’une d’entre elles étant que la personne EST une personne stressée.

Mais qu’en savons-nous ?

On passe trop vite de l’observation la personne semble ressentir du stress à un moment de l’entretien
à
la personne semble ressentir du stress pendant toute la durée de l’entretien
à
la personne ressent du stress pendant toute la durée de l’entretien
à
la personne est stressée de manière générale en entretien
à
la personne est stressée de manière générale

Alors que chaque couche d’interprétation demande à être remise en question. On ne peut pas sauter si vite à la conclusion. C’est d’autant plus vrai que l’entretien est une situation inhabituelle pour la plupart des candidats et candidates. Dans leur quotidien professionnel ce n’est pas une configuration qui reviendra en dehors des moments de transition entre deux jobs.

Or, le stress n’est pas une variable homogène. J’entends par là qu’une personne peut stresser dans un contexte mais pas dans l’autre. On peut maîtriser sans mal le stress dans son métier mais perdre les pédales en entretien.
Mais, on l’oublie trop souvent, ça dépend aussi de la personne. On dit trop souvent le candidat était stressé et pas suffisamment mince, mais est-ce que ça vient pas de moi ?

Si la personne en face de nous semble ressentir du stress, n’est-il pas de notre responsabilité de tout faire pour la remettre à l’aise ? Sachant que cette personne est potentiellement notre future collègue ?

Astuce #1 : différencie les faits et les interprétations


Maintenant qu’on a vu ensemble des exemples de conclusions hâtives, je voulais qu’on parcourt rapidement deux astuces pour compenser cet effet. La première c’est de se faire violence pour s’en tenir aux faits, toujours aux faits. Ou en tout cas de partir des faits. De conscientiser les couches d’interprétation entre l’observation et la conclusion que l’on fait.

Pourquoi c’est si dur ? Parce que ça demande de passer par un état où on accepte qu’on ne sait pas. Ça demande de reconnaître que nous ne sommes pas des mentalistes capable de tout comprendre du comportement humain en une observation.

Et c’est très contre-intuitif pour notre esprit. Nous sommes des machines à interprétation. Nous sommes des machines à donner du sens à l’aléatoire. Si bien qu’on a le réflexe d’insulter ou de frapper une table quand on se cogne dessus. Comme si la table avait pu avoir la volonté de nous faire du mal.

Pour contrer cette tendance on peut commencer par se demander en permanence qu’elle est la preuve de ce que l’on dit. Comme on a tendance à sauter les étapes, ce qu’on appelle la preuve c’est parfois le fait lui-même.

Par exemple le candidat est nerveux. C’est une interprétation. Quelle est la preuve de ce que l’on avance ? On a observé que le candidat marquait de longs temps de silence avant de s’exprimer. Et bien c’est ça l’observation : le candidat marque de long temps de silence avant de s’exprimer.

Et de cette observation on peut interpréter la nervosité, certes, mais ça pourrait également être l’envie de bien faire, une forme de perfectionnisme.
Autre chose qu’on peut faire c’est de formuler de la manière suivante :

J’ai vu de mes yeux (ou entendu de mes oreilles) ceci…
… je l’explique comme cela…
…mais ça pourrait aussi s’expliquer comme cela

On voit qu’on pourrait pas dire : j’ai vu des mes yeux que le candidat était stressé.

Ce qu’on peut dire c’est : j’ai vu des mes yeux que le candidat transpirait beaucoup, je l’explique par le stress mais ça pourrait aussi être la chaleur.

De la même manière : la personne n’a pas répondu à mon email, je l’explique par un manque d’intérêt pour le poste, mais ça pourrait aussi être qu’elle ne l’a pas vu.

Généralement, si on n’est incapable d’avoir une explication alternative c’est qu’on a trop de certitude.

Astuce #2 : faire le lien direct avec le poste



Dans certains des exemples que j’ai donnés, on voit que le lien direct avec le poste n’est pas toujours évident. En cela on semble tomber dans le piège de l’évaluation universelle. La fameuse intelligence émotionnelle : il y a un type de personnalité qui serait supérieur aux autres.

On finit par chercher quelqu’un avec qui on aimerait bien prendre un verre plutôt que quelqu’un qui sera doué à son poste.

Voilà pourquoi il est important de toujours coller au poste. Je pense que la personne manque de dynamisme ? Ok mais est-ce directement un critère de performance à son poste ?

Je pense que la personne manque de “savoir-vivre”. D’accord, mais est-ce un critère dans le poste en question ?

Si la réponse est oui, alors ça vaut le coup de s’appuyer sur l’indice qu’on a observé pour corroborer notre hypothèse. Mais si la réponse est non… pourquoi même s’y attarder ?

Enfin, pour s’assurer qu’un critère est directement lié à un poste il existe une méthode redoutable qui s’appelle la méthode des incidents critiques. Mais ça fait un peu trop long, il me faudrait un article entier pour t’en parler correctement.

En attendant, tu peux toujours te former avec nous :)👉 <a href= »https://calendly.com/ledr/parlons-de-nos-formations-blog » id= »rdv-sales » >Prends RDV ICI</a>

L’erreur de 90% des recruteurs en entretien

90% des recruteurs font cette erreur en entretien

J’ai eu une réalisation à force de faire des formations à l’entretien structuré. Cette réalisation c’est que la plupart des recruteurs et recruteuses utilisent les mêmes critères peu importe le job.

Sans même s’en rendre compte.

Le pire c’est que c’est camouflé derrière la culture. On me dit non mais chez nous c’est hyper important d’avoir non seulement des hard skills mais aussi des softs skills.

Et… les “soft skills” (quoi que ça veuille dire) sont apparemment toujours les mêmes dans toutes les entreprises : le dynamisme, le fait de bien présenter, la sympathie …

Ou alors on me dit on cherche quelqu’un avec qui on pourrait aller prendre une bière.

En d’autres termes, on cherche des commerciaux.

Ou, pour être très précis : on cherche des personnes douées en entretien au lieu de chercher des personnes douées dans leur job.

Les candidats professionnels

Photo de Filipp Romanovski

Candidat n’est pas un métier, on l’a déjà dit et redit. Mais pourtant c’est un réflexe dur à surmonter. Même moi j’ai encore du mal alors que je n’arrête pas de l’enseigner. Instinctivement on va avoir du mal à séparer le plaisir qu’on a eu à faire l’entretien et l’évaluation de la personne en face.

Le souci c’est que ça parasite tout. Car on va avoir tendance à surestimer les compétences des personnes douées en entretien et sous-estimer les compétences des personnes nulles en entretien.

Si bien qu’une personne douée en entretien mais nulle à son poste va être mieux vue qu’une personne nulle en entretien mais douée à son poste. C’est le comble. On scie sa propre branche en faisant ça.

Malheureusement, plus on improvise et plus cet effet est fort. Plus on fait un entretien au feeling et plus on est vulnérable. Pourquoi ? Parce que moins un entretien est cadré et plus les gens talentueux en entretien vont se démarquer.

Pour bien le comprendre, prenons un exemple totalement loufoque. Imagine que demain, pour venir à ton entreprise, il faut la trouver au milieu d’une forêt, sans réseau GPS. Maintenant imagine que les gens arrivent devant la forêt sans indication.

Photo de Gabi Repaska

Que va-t-il se passer ? Et bien les personnes qui sont douées en orientation vont trouver plus facilement l’endroit. Elles arriveront à l’entretien moins confuses, moins essoufflées et moins stressées. Il y a alors de grandes chances qu’elles réussissent davantage leurs entretien que les personnes qui sont nulles en orientation. Ces personnes vont arriver confuses, essoufflées, transpirantes. Certaines vont peut-être même abandonner et ne pas se présenter à l’entretien.

C’est injuste. Sauf si le job pour lequel on recrutait c’est guide forestier.

Maintenant imagine que les gens arrivent devant la forêt et que c’est guidé. Avec des panneaux partout, des indications. Des panneaux qui indiquent la bonne voie et le temps de marche, des panneaux qui indiquent quand on est dans la mauvaise direction et comment revenir sur la bonne route…

D’un coup tout le monde est remis sur le même pied d’égalité.

Dans cet exemple loufoque on comprend directement l’intérêt de guider un maximum les candidats.

Prenons maintenant un exemple un peu moins loufoque mais pas directement issu du monde du recrutement.

Quand j’étais en prépa on avait un exercice qui s’appelait la khôlle. C’est une forme de torture moderne où un prof vous met une pression maximale devant un tableau pour vous faire faire un exercice.

J’étais en khôlle de chimie et je n’avais pas bien révisé. Je ne savais donc plus comment différencier une oxydation d’une réduction. Mais il se trouve que je suis très doué dans les oraux. Donc plutôt que de gaspiller du temps à réfléchir ou à paniquer, j’ai juste répondu très rapidement au hasard.

– M. Galita, passons à la première question : c’est une oxydation ou une réduction
– C’est une oxydation
– Ah, ça commence mal : c’est une réduction

Et c’est là que je me dis que je vais tenter le culot. La prof de chimie était jeune, c’était sa première année. Je savais également que c’était dur de prouver formellement sous la pression qu’une réaction est une réduction. Parce que les gens ont tendance à apprendre par coeur. Même à haut niveau. Je sais qu’elle a la bonne réponse parce qu’elle a le corrigé. Mais qu’elle-même aurait du mal à ma place. Je profite également du fait que je sais qu’elle sait que je suis un bon élève. Je lance donc :

– Ah bah non, y’a une erreur dans le corrigé. C’est une oxydation j’en suis sûr à 100%
– Non, non c’est bien une réduction
– Dans ce cas là, prouvez-le moi

Confiante, elle se lance dans la démonstration. Ce n’est pas si dur mais c’est fastidieux. Dur à faire sous la pression. Elle commence à s’emmêler les pinceaux. Et elle finit par lâcher :

– Ok je n’y arrive plus à faire la démo mais je suis sûre à 100%
– …
– Bon, je vous laisse le bénéfice du doute Galita, je vous mets les points et on passe à la question suivante

Voilà.

Est-ce que j’ai démontré ma compétence en chimie dans cet échange ?Pas du tout. J’ai juste montré que j’étais doué dans les oraux.

C’est pareil en entretien. On doit faire très attention à ne pas proposer des entretiens qui favorisent les gens doués en entretien. Or, plus on laisse la place à l’improvisation et plus ça va être le cas.

Dans le cas de ma prof de chimie, elle n’aurait pas pu se laisser arnaquer par moi si elle avait écrit la démonstration avant de faire l’oral.

Moins on prépare son entretien et plus on est vulnérables face aux personnes qui improvisent bien.

Je connais d’ailleurs des personnes qui sont si douées en entretien qu’elles embarquent n’importe quel recruteur en disant les bons mots au bon moment, les bonnes blagues au bon moment, etc.

Mais ça ne marche que si l’entretien est fait au feeling.

L’exemple de la question des qualités

Photo de The Jopwell Collection

Encore un exemple tiré de mes formations. J’expliquais pourquoi la question des qualités était une mauvaise question.

On en a déjà parlé dans cet article : https://blog.lecoledurecrutement.fr/eviter-questions-entretien/

Un des problèmes de cette question c’est qu’elle n’est pas ciblée : on demande à la personne de proposer des qualités sans lui demander des relier au poste. Du coup on se retrouve avec plein de gens qui nous énumèrent des qualités qui n’ont aucun rapport avec le poste en question. Ça sert à quoi ?

Un autre problème c’est qu’on demande aux gens de s’auto-évaluer (alors que c’est pourtant notre métier à nous de les évaluer) et que c’est compliqué. Beaucoup de gens ignorent leurs propres qualités.

Une participante m’a alors dit bah justement, je pose la question comme ça je peux voir si la personne me donne spontanément une qualité en lien avec le poste.

Mais pourquoi ?

Pourquoi est-ce qu’on cherche des gens qui vont spontanément comprendre ce qu’on attend vraiment derrière l’énoncé flou ?

Pourquoi ne pas les guider ? Pourquoi ne pas leur dire ?

En faisant ça on fait comme avec la forêt : on rajoute un obstacle qui n’est pas lié au poste. Là encore, ce sont les candidats doués en entretien qui vont briller. Les commerciaux.

Elle a alors rajouté que justement ça permettait d’évaluer l’intelligence émotionnelle du candidat.

Mais là encore… pour quoi faire ?

On l’a déjà vu dans cette conférence, mais l’intelligence émotionnelle est en réalité l’expression d’une personnalité socialement désirable. Encore une fois… un commercial.

Pourquoi rechercher ça ? Pourquoi chercher quelqu’un de mondain qui va savoir faire rire au bon moment, comprendre les non-dits derrières les questions, etc.

L’exemple de la motivation


Photo de Jen Theodore

Il en va de même avec la motivation. On me dit non mais moi si la personne ne s’est pas renseignée un minimum sur l’entreprise c’est un signe négatif.

Ah bon ? Mais pourquoi ?

Si je veux que la personne se renseigne sur mon entreprise en allant sur une page précise de mon site web (qui, au passage, est souvent très mal fait) alors pourquoi je ne lui dis pas explicitement ? Pourquoi faire le coup de la forêt ?

Parfois j’ai l’impression que c’est juste de l’égo : on voudrait que les gens nous caressent dans le sens du poil. J’hallucine à chaque fois qu’un recruteur me dit j’enlève des points si y’a pas de lettre de motivation, même si je ne la lis jamais.

On confond évaluer et juger.

Et surtout on confond évaluer si une personne est une bonne candidate avec évaluer si une personne sera une bonne recrue.

Pire encore, j’ai un candidat qui m’a raconté qu’il avait été éliminé d’un process de recrutement à la toute fin, après plusieurs entretiens. Parce qu’il a demandé est-ce que vous pouvez me réexpliquer ce que vous vendez ? Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris.

Ça a fâché qui ? Pas le manager bien sûr. Ça a fâché la RH.

Alors que, de l’aveu même du manager, lui-même a mis plusieurs semaines après son intégration avant de comprendre ce que l’entreprise vendait.

Là encore, quelqu’un qui aurait des compétences commerciales aurait compris que poser la question comme ça risquait de vexer. La RH en question ce qu’elle aurait voulu c’est qu’on la brosse dans le sens du poil. Une personne commerciale l’aurait senti.

Mais c’est une attitude suicidaire. Déjà que c’est dur de ne pas se faire arnaquer par les personnes douées en entretien… si en plus on le demande ?

En faisant ça c’est comme si on marquait sur notre front ce que j’aime c’est quand on m’arnaque, je veux des gens doués en entretien.

Le poste en question n’était pas un poste de commercial.

Parce que, oui, les profils commerciaux sont très doués à afficher la motivation. La motivation ça se falsifie assez facilement. Avec de l’enthousiasme.

Mais notre métier n’est pas d’évaluer la motivation, on l’a déjà vu ici : https://blog.lecoledurecrutement.fr/recruter-motivation/

L’exemple du savoir-être

Photo de Arthur Yeti

Parfois on me dit non mais ce qu’on veut c’est évaluer le savoir-être des candidats, c’est ça qui est important.

Rarement ça veut dire qu’on cherche à évaluer une correspondance entre la personnalité du candidat, son poste et la culture de l’entreprise. Bien plus souvent ça veut dire qu’on veut une personne polie, positive et charismatique.

Je me répète donc tu sais ce que je vais dire…

Bien plus souvent on décrit encore une personne avec les attributs d’un bon commercial.

Alors qu’il y a plein de métiers qui ne nécessitent absolument pas ces attributs. Par exemple, le mien. Une personne trop attachée à la politesse et au respect des règles fait rarement un bon prof. Pourquoi ? Parce que la curiosité est reliée à l’irrévérence. Pour apprendre de nouvelles choses il faut un minimum de défiance envers la tradition.

Ce n’est pas un hasard si les profs de l’éducation nationale sont souvent de gauche. Ça va avec ce cocktail de personnalité. Mais c’est un autre sujet.

J’ai même vu des offres d’emploi où on recherche une personne dynamique pour faire de la comptabilité. Quel est le rapport ? Surtout que c’était le seul critère de personnalité indiqué.

Là encore, on est en train d’optimiser notre plaisir en entretien au lieu d’optimiser l’évaluation des compétences.

L’absence de critères directement liés à l’emploi gâche tout

Photo de Kamil Pietrzak

Au final, ce qui ressort dans tous ces exemples c’est le fait de ne pas choisir des critères directement liés à l’emploi.

Comme on ne sait pas quoi évaluer on évalue des choses au hasard. Comme on ne sait pas évaluer les compétences on évalue les compétences à faire un bon entretien.

Il en va de même avec l’obsession qu’on peut avoir pour les hobbies. Une apprenante m’a dit en formation qu’elle allait dans les clubs de rugby pour recruter. Parce que quelqu’un qui fait du rugby a forcément des valeurs du sens du collectif.

Au-delà du fait que ça soit un cliché, est-ce que le sens du collectif est important pour tous les jobs ?

On confond encore le bon candidat et le bon employé. On confond la candidate douée en entretien et la candidate douée en poste.

Et je pense que c’est parce qu’on ne fait pas l’effort d’analyser le poste. En effet, nous ne pouvons pas connaître tous les jobs. La plupart des recruteurs ont eu moins de deux expériences autre que le recrutement avant d’arriver sur ce job. Et même une personne qui aurait fait 10 jobs avant d’être recruteuse… ça n’est pas suffisant pour connaître tous les jobs qu’elle va recruter.

Pour compenser ça, il faut mener une analyse de poste. Se poser avec le manager ou le client pour bien déduire les critères directement liés au job.
Pourquoi la plupart des recruteurs utilisent des critères liés au job de commercial pour tous les métiers ? Parce qu’ils ne font pas l’effort de faire cette phase.
C’est pourtant là que réside notre expertise. Dans la capacité à se poser avec le manager et mettre en forme les critères que l’on recherche sur le poste. C’est-à-dire pas uniquement en disant “leadership”, mais en détaillant. Par exemple :
Leadership

  • Capacité à tenir tête à la hiérarchie pour protéger ses collaborateurs et collaboratrices
  • Capacité à motiver son équipe via des prises de paroles en public
  • Sens de la justice pour ne pas infuser un sentiment de favoritisme
  • Savoir ménager les équipes au bon moment et leur demander des montées en charge au bon moment


J’ai totalement inventé et écrit n’importe quoi. Mais c’est pour montrer comment détailler un critère à partir d’éléments tangibles du poste.

Malheureusement, notre incapacité à définir des critères directement liés au job ne nous portent pas préjudice qu’à nous-même. En effet, c’est aussi comme ça que s’infiltre la discrimination. Quand on ne fixe pas les critères directement liés au job, on a tendance à prendre des critères discriminants, des critères de gendre idéal.

Pire encore, on va même changer les critères pour favoriser les hommes plutôt que les femmes. Comme on l’avait vu dans cette étude : https://blog.lecoledurecrutement.fr/erreur-briefs-de-poste-recrutement/

Que faire ?

Photo de Jordan Madrid

Une fois qu’on a dit ça, la solution devient évidente (ce qui ne veut pas dire que ça soit facile) : il faut s’obliger à définir des critères directement liés au poste. On s’interdit formellement de justifier les critères indirects. Du type non mais en posant cette question je veux voir si la personne a assez de recul pour donner des qualités liées à son job.

Dès qu’on doit faire un chemin de plus d’une étape pour relier le critère au job alors il y a un problème.

Si j’évalue le “dynamisme” je dois pouvoir le relier directement au poste. Je dois pouvoir raconter une histoire où quelqu’un a eu une mauvaise performance parce qu’il manquait de “dynamisme” ou alors au contraire une bonne performance car il avait du “dynamisme”.

Exemple #1 : je veux quelqu’un qui sache sourire toute la journée à ce poste car c’est un poste d’accueil de la clientèle. La personne devra donc pouvoir sourire aux clients.

Ça c’est direct. C’est un bon critère.

Exemple #2 : je veux quelqu’un qui sache sourire c’est important : c’est un poste de comptable. Même si la personne aura rarement des contacts externes, c’est important.

Ça c’est indirect. C’est un mauvais critère. En fait ce qu’on dit c’est que ça nous ferait passer un meilleur entretien. Certes. Mais ce n’est pas la question.

Exemple #3 : je veux un homme car on va devoir porter des charges lourdes dans ce poste.

C’est indirect, c’est un mauvais critère. Et discriminant au passage.

Exemple #4 : je veux des personnes capables de porter des charges lourdes pendant toute la journée car c’est une des tâches du poste. Donc je vais évaluer l’envie et la capacité à porter des charges.

Là c’est direct, c’est un bon critère.

La bonne nouvelle c’est qu’il existe des méthodes pour avoir la garantie de produire des critères directement liés à l’emploi. La méthode des incidents critiques par exemple. Mais ça n’est pas l’objet de cet article.

Ceci dit, c’est l’un des objets de notre formation.

Choisis un créneau RDV avec notre équipe pour en discuter 🙂

3 questions qu’il faut arrêter de poser en entretien

Malheureusement, la plupart des entretiens sont très peu efficaces. Parce qu’on s’en remet à son intuition, son feeling. 

La solution est connue. On a plus d’un siècle de données qui pointent toutes vers la même direction : faire des entretiens structurés. 

D’ailleurs, un jour j’ai entendu quelqu’un dire que nous avions inventé les entretiens structurés chez LEDR. 

Alors… j’aurais adoré. Mais si c’est moi qui les avais inventé, je ne les aurais pas appelés comme ça. Le nom est nul. 

Ça se voit que c’est le nom du champ académique, sans marketing. Si c’était nous on aurait appelé ça : “les entretiens prédictifs” , “les super-entretiens” ou même “les entretiens qui fonctionnent vraiment”.

Mais alors, sachant leur efficacité supérieure, pourquoi la pratique de l’entretien structurée est-elle encore si rare ? Ça pourrait faire l’objet de tout un article mais pour résumer : ça demande du travail. Il faut beaucoup plus de travail pour déployer des entretiens structurés que de venir et poser les questions habituelles.

Car, oui, l’entretien structuré n’est pas qu’une question de trame. Vous pouvez avoir une trame de questions que vous posez sans la changer sans que ça soit un entretien structuré pour autant. En effet, l’entretien structuré se définit par la trame, mais pas que. C’est une condition nécessaire mais pas suffisante. La nature des questions est primordiale.

Aujourd’hui, on va voir non pas quelles questions fondent un entretien structuré mais plutôt 3 des pires questions qu’on pose en entretien au feeling. Comme ça, même si vous ne pouvez pas déployer les entretiens structurés vous pouvez quand même essayer d’éviter ces questions. On pense souvent à ce qu’on pourrait faire mieux mais on oublie que parfois le plus simple est d’éviter ce qu’on fait de moins bien.

Mauvaise question #1 : “Parlez-moi de vous ?”

Avec sa variante “présentez-vous en quelques minutes” ou“racontez-moi votre parcours professionnel”.

Ce qu’on croit faire en posant cette question

J’ai trouvé cette question dans tous les guides de questions à préparer quand on candidate. 94% des candidat·es déclarent y avoir été confronté. C’est également la question la plus posée avec 60% des recruteurs et des recruteuses qui déclarent la poser en entretien (source : Zety)

C’est souvent une question qui débute l’entretien. Comme un brise-glace. Certains recruteurs expliquent que ça permet d’observer si le candidat sait structurer sa réponse. D’autres disent que c’est avant tout pour voir si la personne a une personnalité bavarde ou pas.

D’autres cherchent à voir si la personne sait gérer son stress.

“Pour la plupart des recruteurs, « parlez-moi de vous » est bien plus qu’une question lancée pour ouvrir la conversation. Quand un responsable du recrutement pose cette question ouverte, il espère que les candidats parleront de leurs objectifs et de leurs priorités pour pouvoir se faire une meilleure idée de leur véritable personnalité.

Ce n’est pas tout : les recruteurs posent aussi cette question pour évaluer la confiance en soi d’un candidat, car cela leur donne un aperçu de la façon dont les recrues potentielles se présenteront aux clients et à leurs collaborateurs si elles obtiennent le poste.”

Source : https://www.roberthalf.fr/blog/repondre-a-la-question-parlez-moi-de-vous-entretien

Parfois ça va même plus loin et tout l’entretien tourne autour de cette question !

Le but du chargé de recrutement est de vous « cerner » rapidement pour déterminer si vous êtes la bonne personne pour le poste. Grâce à cette question très ouverte, il vous pousse à dévoiler votre esprit de synthèse, votre capacité d’introspection ainsi que votre personnalité. Votre réponse en dit long sur vous : vous avez la liberté de choisir comment aborder cette question. Faites donc attention à ne pas vous emmêler les pinceaux.

De nombreux recruteurs et DRH de grands groupes ont recours à cette question. C’est parfois même la seule qu’ils utilisent durant tout l’entretien ! Elle a le mérite d’ouvrir sur un moment d’échange et d’aller au-delà de la simple présentation du CV. Si votre interlocuteur ne vous donne pas de temps à respecter, vous pouvez estimer que vous avez environ 5 minutes pour convaincre.

Un simple « présentez-vous » permet aussi d’évaluer votre degré de préparation à l’exercice de l’entretien. Si votre réponse n’est pas préparée un minimum, cette question peut se transformer en véritable question piège.

Source : https://www.solantis.fr/2020/01/27/parlez-moi-de-vous-que-repondre/

Là on prétend carrément analyser l’esprit de synthèse et la capacité d’introspection. Avec en creux l’idée que ça permet aussi de vérifier la préparation de l’entretien…

Quel est le problème avec cette question ?

Mais… tout ? Rien ne va ! Je ne sais même pas par où commencer. Les candidat·es se plaignent souvent de cette question, à raison.

Si le but est d’évaluer la capacité de synthèse de la personne, pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi ne pas dire : pouvez-vous me parler de vous ? Attention, je serai particulièrement sensible à votre capacité de synthèse.

J’ai même vu des recruteurs qui se plaignent ! En disant parfois les candidat·es se mettent à faire l’essentiel de leur parcours en repartant de l’université… c’est ennuyant.

Mais…

Pourquoi. Ne. Pas. Leur. Dire ?

Pourquoi ne pas dire : pouvez-vous me parler de vous ? J’attends principalement que vous résumiez vos expériences professionnelles les plus récentes.

Quel intérêt de piéger ? Quel intérêt d’être si vague ? Parce que tout le monde le fait et que donc les candidat·es pourraient s’y préparer ? Certes. Mais dans ce cas il ne faudra pas se plaindre parce que les candidat·es préparent tellement les entretiens que toutes leurs réponses sont fades et clichées.

Quant à l’idée de vérifier la préparation, on a déjà vu pourquoi c’était problématique : https://lecoledurecrutement.fr/recruter-motivation/

En effet, la préparation ne prédit pas la performance de la personne à son poste. Sans compter que la personne a pu préparer d’autres choses. Là encore, si vous voulez qu’une personne préparer quelque chose : pourquoi ne pas lui dire ? Vous n’avez aucune idée de son contexte familial, voire même de travail. 

J’avais le cas dans mon école de commerce : certaines personnes venaient de familles moins riches et devait donc cumuler ce qu’on appelait un petit boulot en plus des études. Ce qui fait qu’elles devaient aussi cumuler ce boulot avec leur recherche d’emploi. Forcément elles avaient moins de temps, d’énergie pour préparer l’entretien. Faut-il les pénaliser pour autant ? Alors qu’on ne leur a même pas donné de consigne de préparation ?

Enfin, parlons du stress. L’idée de poser une question qu’on sait volontairement stressante est très dangereuse. Là encore il faudrait tout un article pour développer, mais nous avons peu d’intérêt à attiser le stress chez les personnes que l’on reçoit en entretien. Par exemple, je ne ressens personnellement jamais de stress en entretien. Selon AssessFirst je fais même partie des 2% de la population qui stressent le moins, tout court. Et alors ? Ça veut dire que si j’allais dans un entretien pour le poste de comptable, je ne serais pas stressé. Pour autant ferais-je un bon comptable ? Non.

Sans compter que le stress n’est pas homogène : on peut stresser en entretien et ne pas stresser dans l’exercice de son métier. 

Que peut-on évaluer ici ?

Il faut commencer par être honnête envers soi-même. Quand j’ai commencé le métier, j’ai posé cette question. Comme tout le monde. Et j’aurais pu m’inventer que c’était pour vérifier la capacité de synthèse. Mais, puisqu’on pose cette question à tous les entretiens, ça veut dire que tous les postes du monde nécessitent une capacité de synthèse ? Quelque chose ne tourne pas rond.

Idem sur la résistance au stress. Tous les postes du monde demandent-ils de résister au stress ?

Au final, comme on ne s’est pas vraiment posé la question des critères qu’on voulait évaluer (compétences métier et personnalité) , on finit par chercher une sorte de profil générique.

Les fameuses personnalités socialement désirables (qu’on appelle faussement les personnes ayant de l’intelligence émotionnelle) : extraverties, conscienscieuse, polie, etc.

Comme si tous les postes demandaient ce cocktail de personnalité.

En vrai, ce qu’on fait avec cette question n’est-ce pas plutôt confirmer sa première impression ? Or, on le sait, l’effet de première impression est un des effets les plus dangereux pour l’évaluation. Parce qu’on passe son temps à confirmer ce qu’on a ressenti lors des premières secondes.

Sachant cela, pourquoi s’exposer volontairement à ce biais ? C’est un peu comme si on disait à haute voix faites-moi une bonne première impression.

On ne peut pas se plaindre ensuite parce que les personnes nous mentent en entretien et qu’elles ne sont pas la personne qu’elles nous ont vendues. Peut-être qu’il suffirait justement d’arrêter de demander aux gens de se vendre pour qu’ils arrêtent d’enjoliver ? Peut-être qu’il suffirait de s’en tenir à l’évaluation de leurs compétences pour qu’ils répondent à cette hauteur.

Mais si on pose une question piège où on attend que la personne prenne son parcours pour le vendre, on ne peut pas s’étonner que ça soit artificiel.

On en a déjà parlé : quand les personnes sentent qu’on les juge plus qu’on ne les évaluent elles ont tendance à mentir.

https://lecoledurecrutement.fr/distinguer-jugement-evaluation-recrutement/

Mauvaise question #2 : quels sont vos défauts ?

On retrouve cette question sous de nombreuses variantes. Personnellement, la première fois qu’on m’a dit que cette question était mauvaise, je l’ai immédiatement changée. Du coup, je demandais si je demandais à vos amis ce qu’il pensent de vous, ils me diraient quoi. Et je me sentais tellement brillant et malin !

Mais je n’avais rien compris. Je n’avais pas compris pourquoi on m’avait dit que cette question était mauvaise.

En effet, changer la formulation en disant quels sont vos axes d’amélioration ne change rien à l’affaire. Voyons pourquoi.

Ce qu’on croit faire en posant cette question

Avec cette question on se dit qu’on évalue le recul, la transparence, la lucidité de la personne en face nous. 

Certains recruteurs se disent que ça permet de voir si les candidat·es minimisent ou assument leurs défauts. Avec l’idée qu’on essaie d’avoir des personnes qui dépassent leurs propres défauts.

« On évalue l’aptitude du candidat à prendre du recul sur lui-même, sa lucidité, en essayant de détecter des états d’esprit constructifs, de l’honnêteté et de la transparence »

Mais, surtout, on l’avoue moins volontiers : on va éliminer les défauts qui nous chagrinent le plus. 

Pire encore, on va punir les personnes qui se rebellent face à la question ou qui essaient d’éviter de répondre : comme si ça nous vexait. Comme si on voulait avoir des gens dociles en face.

Alors que c’est une réaction naturelle. Qui a envie de parler de ses défauts dans un entretien où on le juge ?

Quel est le problème avec cette question ?

Il y a plusieurs soucis : déjà l’injonction paradoxale. À la fois on demande aux personnes de se mettre en avant et à la fois on leur demande de révéler leurs défauts. Pour avoir déjà accompagné quelques candidat·es, les gens s’arrachent les cheveux sur cette question. Au point que je leur avais créé un guide tout fait avec des défauts à dire.

Je ne suis pas le seul, il y a plein de guides sur le web pour choisir ses défauts. Le pire, c’est que les recruteurs le savent… ça devient un jeu absurde !

On conseille aux candidat·es de trouver des défauts qui les mettent quand même en valeur. Voilà pourquoi autant de gens répondent “je suis perfectionniste”. En vérité, c’est un défaut très compliqué à porter. Les personnes qui sont vraiment perfectionnistes vivent un calvaire professionnel, souvent doublé par le syndrome de l’imposteur. Ce n’est pas un défaut aussi enviable que ne le croient les candidat·es. Mais c’est parce que ce qui est sous-entendu c’est mon seul défaut c’est que j’ai pas de défaut.

Parce que la question est violente. Même une personne surentraînée à la promotion de soi (une politicienne) peut se trouver désarmée face à cette question. J’en veux pour preuve la réaction de Valérie Pécresse quand on lui a posé la question :

– Quelle est votre principale qualité, et peut-être plus important, votre principal défaut ? – Ma principale qualité c’est que je suis tenace. Et mon principal défaut c’est que je suis perfectionniste.  

Notez au passage comment on a enrobé la question en l’adossant à celles des qualités mais en insistant bien sur le fait que ce qu’on veut c’est le défaut. 

Comme tout le monde, Valérie Pécresse n’a rien trouvé d’autre à dire que “perfectionniste”. Le pire c’est qu’on a pris l’habitude de se moquer de cette réponse dans le monde du recrutement. Mais ce n’est pas la réponse qui est risible, c’est la question.

Qu’attendons-nous ? Ça ?

D’ailleurs, chaque fois que je demande à un recruteur ou une recruteuse ce que cette question lui a déjà apporté j’obtiens un blanc. Posez-vous la question… qu’avez-vous déjà obtenu comme information pertinente suite à cette question ?

Si la réponse est rien car on me répond toujours des trucs vagues et superficiels, alors il est temps d’en tirer les bonnes conclusions.

Que peut-on évaluer ici ?

Je ne sais même pas. De deux choses l’une, soit on évalue le texte soit on évalue le méta-texte. 

Dans le cas où on évalue le texte, c’est-à-dire le propos du candidat, on a peu de chance de tomber juste. On l’a vu, le candidat ne va pas répondre honnêtement. D’ailleurs on attend même pas qu’il le fasse. Si quelqu’un disait “mon plus grand défaut c’est que je travaille mal” on se dirait que la personne nous fait une blague.

Donc à quoi va nous servir de recevoir un énième je suis perfectionniste ?

Mais admettons qu’en face vous ayez une personne particulièrement entraînée à l’entretien et qui a donc lu tous les guides qui expliquent comment doser (mais là encore, est-ce vraiment ce qu’on souhaite encourager ?). 

Cette personne vous dit quelque chose comme : un de mes axes d’amélioration c’est que j’ai du mal à prendre la parole en public.

Si le poste c’est prof, ça va poser souci. Ok. Mais si le poste c’est comptable ? On en fait quoi ?

C’est l’ultime problème de la question des défauts : elle ne cible pas le moindre critère. On laisse aux candidat·es carte blanche pour parler de n’importe quoi, que ça ait un rapport ou pas avec le poste en question.

Là encore, sauf à croire que notre mission est de recruter un profil générique avec une personnalité socialement désirable, pourquoi perdre ainsi son temps ?

Ne parlons même pas de la subjectivité de ce qui est un défaut ou pas. Dans les guides de recherche d’emploi j’ai trouvé je dis toujours ce que je pense comme défaut. J’ai halluciné. Donc, ne pas mentir c’est un … défaut ?

Mais, vous me direz peut-être que vous cherchez plutôt à évaluer le méta-texte. C’est-à-dire que peu importe ce que la personne répond, vous allez vous intéresser à comment elle répond. Ce qui vous permettra de voir si la personne fait preuve de maturité, de lucidité.

Le problème c’est que vous ne connaissez pas la “bonne” réponse donc vous ne pouvez pas comparer. Vous allez juste être sensible aux beaux parleurs. 

Et même si vous connaissiez la réponse et que vous pouviez donc évaluer la distance entre la perception du candidat et la réalité de ses défauts… que feriez-vous de cette information ? Vous allez déduire que la personne manque de lucidité ? Mais c’est important pour le poste en question ? Et surtout… combien de gens sont capables d’être lucide à ce point. Êtes-vous capable de tant de lucidité sur votre propre personnalité ?

Est-ce vraiment un critère de recrutement à ce point important qu’il justifie d’y passer 5 minutes sur un entretien de 45 minutes ou d’une heure et demie ?

Mauvaise question #3 : que savez-vous de nous ?

On finit avec cette question. Qui d’ailleurs n’est pas toujours posée comme telle. Parfois on exige que les candidat·es y répondent sans la poser explicitement. On parsème l’entretien de petits pièges. Avec toujours la même phrase je veux voir que la personne a au moins été sur notre site internet avant.

Ce qu’on croit faire en posant cette question

C’est celle avec laquelle j’ai le plus de mal car je ne l’ai jamais posée. Ou plutôt je la posais comme un point de départ pour être sûr de ne pas embêter la personne avec des explications en trop. Mais jamais comme une vraie question d’évaluation.

J’imagine qu’on cherche à évaluer la motivation. On a déjà expliqué pourquoi c’était une mauvaise idée. Mais, plus que ça, j’ai l’impression qu’il y a encore cette notion de les gens doivent en baver pour mériter un job.

D’ailleurs, la dernière fois que j’ai demandé en formation pourquoi les recruteuses de la salle le faisaient, ça n’a pas manqué. Après à peine 30 secondes, quelqu’un a dit :

Je ne comprends pas, avec tout le chômage qu’il y a, les gens peuvent pas faire l’effort d’aller regarder sur le site internet ?

  

Quel est le problème avec cette question ?

Premièrement, il y a une forme de culot incroyable à cette position. Combien d’entre nous ont un site internet clair ?

Récemment, j’ai écouté une candidate (qui était aussi une recruteuse) me raconter qu’elle avait raté la question en entretien. J’ai demandé ce que disait le site web. Elle m’a répondu“mais je comprends rien à ce qui est écrit”. J’ai alors moi-même été regarder et … effectivement je n’ai pas compris grand chose non plus.

Or, cette expérience est plus la norme que l’exception. Combien d’entre-nous peuvent affirmer en toute bonne foi que leur site carrière est clair ?

Parfois je suis mort de rire intérieurement parce que je suis chez un client où les recruteurs m’expliquent que c’est scandaleux que les candidat·es ne savent pas dire ce que fait l’entreprise. Alors que moi-même… je n’ai pas compris, même après avoir passé toute une journée avec eux.

J’ai même vu des recruteurs se vexer parce qu’un candidat posait la question mais vous faites quoi, vraiment, je n’ai pas tout compris.

Ici, le candidat dit qu’il a pris le temps de regarder le site web, on ne peut donc pas lui reprocher un manque de préparation. Le problème c’est qu’il n’a pas compris. Peut-être parce que … c’est incompréhensible.

Enfin, quelle responsabilité prenons-nous en tant que membres de notre profession ? Nous ne pouvons ignorer que la plupart de nos confrères et consoeurs ignorent les candidatures sur annonce. Ce qui fait que, l’immense majorité des candidat·es se retrouvent sans réponses. Par conséquent, beaucoup font le choix d’arroser. Ce n’est pas bien, mais c’est compréhensible. Les gens ne feraient pas ça si on leur répondait.

Du coup, comment pouvons-nous refuser d’intégrer cette réalité ? Beaucoup de personnes arrivent au premier entretien sans même se rappeler qu’elles avaient postulé à cette entreprise. Et comme on se vexe quand on nous le dit… elle n’ose pas demander.

C’est si ridicule.

J’ai même des amis qui sont rentrés dans des entreprises sans jamais comprendre ce que la boîte faisait. Mais ils avaient très bien compris que le dire risquait de vexer les recruteurs, donc ils ne le disent pas et attendre de le découvrir sur place.

Mais… c’est absurde, non ? Qui gagne quoi à cette situation ?

Que peut-on évaluer ici ?

On en revient au principe du début : réfléchir à ce qu’on évalue. Si on veut vraiment évaluer la motivation, pourquoi recourir à des subterfuges ? Il convient d’abord de comprendre ce qu’on entend par motivation. On l’a déjà dit :

“Ce qu’on doit évaluer ce n’est pas si la personne montre patte blanche, si elle a lu notre site alors qu’on ne lui a pas demandé. Ce qu’on doit évaluer c’est l’adéquation entre ses valeurs, ses besoins et notre culture. C’est donc toujours une comparaison. On ne se demande pas si la personne en face est une personne motivée, en soi. On se demande si ses valeurs, ses besoins et ses intérêts sont en phase avec notre culture et nos intérêts. De là émanera la motivation.”

Une fois qu’on a fait cet inventaire, on va s’intéresser directement aux valeurs de la personne, à la raison de sa démarche, plutôt que de tenter de la piéger sur sa connaissance du site.

De manière générale, les pièges sont une mauvaise idée car ils prédisent peu la performance. Ils prédisent juste la faculté d’une personne à savoir naviguer entre les non-dits. D’ailleurs, je n’ai pas d’étude sur le sujet, mais je ne serai pas étonné s’il y avait un lien entre le milieu social d’origine de la personne et sa capacité à maîtriser les codes non-dits.

Au final, qu’avons-nous à gagner à poser des questions sans mode d’emploi ? 

Bonus : les questions “brainteasers”

J’ai gardé ce type de questions dans les bonus car l’immense majorité d’entre nous ne posons jamais ces questions. En revanche, elles sont omniprésentes dans certains secteurs. Le conseil par exemple.

Qu’est-ce qu’un brainteaser ? C’est une question d’entretien qui est en réalité une énigme inattendue.

La plus connue étant une qui a été popularisée par Google :

Si vous étiez réduit·e à la taille d’une pièce de monnaie et que vous étiez dans un mixeur, comment feriez-vous pour en sortir ?

Ou alors :

Combien d’argent prendriez-vous pour nettoyer toutes les fenêtres de Seattle

Dans le premier cas on attend de moi que je dise que réduit à cette taille, je pourrais sauter bien plus haut que ma taille. Ne me demandez pas pourquoi, j’ai oublié la démonstration. Mais expérimentalement on sent que c’est vrai : les puces, les sauterelles arrivent à sauter beaucoup plus haut que leur taille.

Dans le second on attend que je reconnaisse que Microsoft a son siège social à Seattle et que y’a un jeu de mot à faire avec Windows (fenêtre).

Parfois ça prend la forme de cas. Voici une question que j’ai moi-même posée (et je m’excuse auprès des personnes à qui je l’ai posée, j’étais un recruteur débutant) :

À ton avis, quel est le chiffre moyen d’une boulangerie ?

Dans ma tête ça permettait d’évaluer une forme d’intelligence.

En vrai, ce genre de questions font surtout plaisir à la personne qui les pose et qui se sent maligne. C’était mon cas. Voilà ce qu’en dit l’ex-DRH de Google :

“La performance à ces types de questions est, au mieux, une compétence qui s’améliore avec la pratique, rendant inutile leur utilisation pour évaluer des candidats. Au pire, elles reposent sur un petit bout trivial d’information ou de connaissance qu’on cache au candidat et qui sert principalement à faire que le recruteur se sente intelligent et content de lui-même.

Elles ont peu si ce n’est la moindre capacité à prédire si un·e candidat·e sera performant·e à son job. C’est en partie à cause de la non-pertinence de la tâche(combien de fois dans votre job quotidien devez-vous estimer le nombre de stations essence dans une ville ?), en partie parce qu’il n’y a pas de corrélation entre l’aptitude cognitive(qui elle est bien prédictive de la performance) et les problèmes de perspicacité comme les brainteasers, et en partie parce qu’il n’y a pas de moyen de distinguer quelqu’un qui est brillant de manière innée et quelqu’un qui s’est entraîné à ce genre de questions.”

Et, en effet, tous mes camarades qui postulaient dans des grands groupes de conseil ou d’audit téléchargeaient des grands guides qui répertoriaient l’ensemble de ces questions.

Ces questions ont même inspiré un livre : Êtes-vous assez intelligent pour travailler chez Google ? 

L’auteur est d’ailleurs sympa avec les recruteurs puisqu’il dit : 

Tous les ans, ces entreprises de pointe reçoivent des millions de C.V. Comment recrutent-ils ? Quelles questions pièges ont-ils inventé avec l’aide de psychologues à l’esprit tortueux pour sélectionner les profils les mieux adaptés, souvent les plus originaux ? 

Alors que n’importe quel psychologue aurait probablement hurlé en voyant ces questions utilisées pour prédire la performance.

Conclusion

Je crois qu’une fois un prof m’a dit qu’on devait pas écrire conclusion avant une conclusion. Mais j’aime bien.

Au-delà des trois questions que j’ai pointées en particulier vous aurez peut-être remarqué des grandes lignes qui se dégagent. Par exemple, le fait que ce sont des questions qui peinent à justifier ce qu’elles évaluent. Parce que la plupart des entretiens peinent à justifier ce qu’ils évaluent. C’est pour ça qu’il est si dur de faire des retours constructifs aux candidat·es.

Moi-même j’ai posé ces questions parce que je pensais que c’était ce qu’il fallait faire. Je voyais que c’était ce que les autres faisaient. Je me posais quand même des questions parce que j’étais à mon compte et donc que je n’avais pas une hiérarchie qui m’imposait une méthode.

C’est d’ailleurs comme ça que je suis passé de la question des défauts, à celle des qualités puis à celles sur les axes d’amélioration, puis à celles sur ce que les amis direz de vous, pour finir par des brainteasers. Chaque fois j’essayais d’améliorer l’expérience candidat.

Puisque je voyais bien que l’entretien était pas un exercice super prédictif, j’essayais d’au moins en enlever les moments absurdes. Mais, si j’avais été entouré d’autres personnes faisant pareil, j’aurais probablement fini par accepter de poser ces questions.

Je le dis pour qu’il soit clair que je ne jette pas la pierre. Chaque personne fait de son mieux avec les cartes qu’elles possèdent. D’ailleurs, quand j’étais recruteur je n’ai pas trouvé la solution. Je ressentais un malaise vis-à-vis de l’entretien mais je ne voyais pas comment faire. Et je venais à peine de tomber sur des articles qui me parlaient de questions comportementales avant de me faire débaucher par LEDR. Donc je ne saurais jamais si j’aurais de moi-même fait des entretiens structurés.

D’ailleurs, c’est pendant le premier entretien que j’ai fait pour LEDR que j’ai demandé combien tu penses que y’a de boulangerie en France.

Parce que j’aimais ce genre de questions, même en tant que candidat. Contrairement aux autres que je détestais en candidat et qui me faisaient du coup de la peine à poser. C’est d’ailleurs souvent une bonne boussole, se demander si on aurait aimer recevoir la question…

Sinon, on tombe un peu dans le syndrome du bizutage : reproduire un système dysfonctionnel parce qu’on l’a soi-même subi et qu’on intériorise qu’on a pas pu le subir pour rien.

La bonne nouvelle c’est qu’on a pas besoin de cheminer pendant des années jusqu’à trouver de meilleures questions. Des gens s’en sont déjà chargés pour nous. Mais… ça on en reparler dans un article.

En attendant tu veux une formation solide en recrutement et ce, en entretien ?

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7 idées fausses sur les annonces

En ce moment je fais beaucoup de formations sur la thématique des annonces. C’est un sujet que j’affectionne tout particulièrement car c’est le seul où la salle sait déjà qu’elle fait mal et à quel endroit elle fait mal. Ce n’est pas le cas quand j’enseigne sur l’entretien, l’identification des profils ou les messages d’approche.

Mes formations commencent toujours de la même manière : je demande à la salle de critiquer une annonce publiée sur le site de leur entreprise. Généralement, la colonne “points négatifs” est beaucoup (beaucoup) plus grande que la colonne “points positifs”.

Pire encore, une fois sur trois quelqu’un me demande mais c’est une VRAIE annonce de chez nous ? Comme si j’avais été de mèche avec quelqu’un de l’entreprise pour introduire une annonce nulle. Alors qu’il suffit de se pencher pour ramasser des mauvaises annonces. Je dirais même que les mauvaises annonces sont la norme plutôt que l’exception.

Dans cet article je vais te partager les 7 fausses excuses que j’entends le plus souvent sur le sujet, quand les recruteurs et les recruteuses sont mis face à leurs propres annonces.

#1 | On m’a dit qu’il fallait écrire court, au moins c’est synthétique là

Malheureusement, beaucoup de gens vous disent d’écrire des annonces courtes. Souvent des outils comme LinkedIn. Sauf que, ce que ces personnes ne vous disent pas c’est qu’elles n’ont pas la moindre confiance en vous.

Elles se disent : je sais qu’ils vont mal faire donc je préfère des mauvaises annonces courtes que des mauvaises annonces longues.

Certes. Mais on peut aussi écrire de bonnes annonces.

Il ne faut pas confondre la concision et la longueur. La concision c’est quand il n’y a plus rien à enlever mais aussi plus rien à rajouter. Un texte peut donc être court sans être concis. Un texte peut être court et passer totalement à côté du sujet. À l’inverse, un texte peut être long et concis, pour peu que chaque mot soit incontournable.

La plupart des gens préfèrent lire 700 pages de Harry Potter qu’une demi-page d’une annonce en langue de bois.

Parfois, j’ai l’impression qu’on a jamais dépassé le niveau du collège. Vous savez, quand les élèves disent à la prof de français qu’ils veulent un livre court. Alors qu’il y a des livres courts plus pénibles à lire que des livres longs.

Pourquoi les collégiens font cette erreur ? Parce qu’ils sont convaincus qu’on ne peut pas aimer lire de la littérature. Donc, quitte à passer un mauvais moment, autant qu’il soit le plus court possible.

Voilà ce que trahit cet engouement pour le court. Vouloir à tout prix du court sous-entend que l’on pense qu’une annonce est forcément pénible.

Or, j’affirme qu’il existe des annonces très agréables à lire. Des annonces captivantes. On devrait plutôt chercher à obtenir ce résultat plutôt que d’abandonner par avance en disant : ok je vais écrire un truc nul mais au moins ça sera court donc ça embêtera pas TROP les gens.

Une annonce ne doit pas avoir de longueurs. Mais elle peut être longue. La différence est gigantesque. Un texte peut être court et chiant, long et captivant.

Mais surtout… l’erreur fondamentale est de faire de la longueur du texte la variable la plus importante. Ce n’est qu’une variable parmi les autres. Or, j’ai l’impression que les gens ont si peur de faire des textes longs qu’ils en oublient tout le reste. On se retrouve avec des annonces fades, sans contexte, mal écrites mais… ouf, c’est court !

Ça n’est pas raisonnable. La longueur du texte a son importance, mais ça n’est ni le plus important ni la seule chose importante.

Je comprends l’obsession : après tout, c’est beaucoup plus facile de mesurer la longueur que de mesurer si la structure est bonne. La longueur est la chose la plus mesurable. Sauf que :

Tout ce qui se mesure n’est pas important et tout ce qui est important n’est pas mesurable.

#2 | Je n’arrive pas à être fun dans mes annonces

Et alors ?

Ce n’est pas sensé être un exercice d’humoriste. Ce n’est pas le but d’une annonce. Il ne faut pas se tromper de combat. D’ailleurs, c’est une erreur courante dans le monde publicitaire. Si courante que David Ogilvy y consacre un passage de son manuel d’écriture publicitaire :

« C’est triste à dire mais une agence qui ne produirait rien d’autre que des publicités efficaces mais terre à terre n’obtiendrait jamais une aura de créativité et serait condamnée à dépérir lentement. 

Qu’est-ce qu’une bonne publicité ? Une publicité qui te plaît à cause de son style ou bien la publicité qui vend le plus ? 

Ce sont rarement les mêmes. Va dans un magazine et cherche les publicités que tu aimes le plus. Tu vas probablement choisir celles qui ont de belles illustrations où des textes avec de l’esprit. Tu vas oublier de te demander si tes publicités favorites te donnent réellement envie d’acheter le produit. 

Comme le dit Rosser Reeves de l’agence Ted Bates : je ne dis pas que les textes charmants, facétieux et chaleureux échouent systématiquement à vendre. Je dis simplement que j’ai vu des milliers de campagnes charmantes et facétieuses qui ne vendaient pas. 

Admettons que tu sois un constructeur. Tes publicités ne fonctionnent pas et tes ventes s’effritent. Tout en dépend. Ton futur en dépend, le futur de ta famille en dépend, celui d’autres familles en dépend. Et tu arrives dans ce bureau pour me parler, tu t’assieds sur cette chaise. Maintenant, que veux-tu de moi ? De l’écriture fine ? Tu veux un chef d’oeuvre littéraire ? Tu veux des trucs brillants façonnés par des publicitaires ? Ou tu veux que cette satanée courbe des ventes arrête de descendre pour commencer à monter ?« 

Il en va de même pour les annonces. Le but ce n’est pas de faire plaisir aux personnes qui les écrivent. Le but c’est de faire postuler les bonnes personnes.

Une annonce peut être fun mais inefficace, tout comme elle peut être terre-à-terre et très efficace. Ce n’est pas lié.

Ou plutôt, c’est lié en tant qu’effet indirect d’un texte écrit avec de l’émotion. Bien sûr qu’un texte drôle est plus chaleureux. Mais le souci c’est quand on se force et que la chaleur est artificielle. Ça fait un peu l’effet LipDub des jeunes de l’UMP.

Nous ne sommes plus au collège. Ce n’est pas grave de ne pas être l’ado cool. Certaines entreprises sont cools, c’est comme ça. Parce qu’elles sont sur une activité hype, par exemple. Mais ce n’est pas un but en soi. Elles le sont sans chercher à l’être. Quand on cherche à être cool c’est dévastateur.

Je ne compte pas le nombre de multinationales qui me disent on fonctionne un peu comme une startup. Alors que j’ai dû badger à l’entrée, que tout le monde porte un costard et que quand je tutoie les gens je vois un frisson parcourir leur corps.

Je ne compte pas le nombre de multinationales qui veulent ressembler à des startups. Mais pourquoi ? Parce que la mode ? Il vaut mieux assumer qui on est : chaque organisation a des défauts et des qualités. Singer la culture d’une autre organisation pour se différencier est totalement contradictoire. 

Surtout que, comme on ne la comprend qu’en superficie on copie les mauvaises choses. Certaines personnes vont chez Facebook (Meta) et croisent Mark Zuckerberg en sweat-shirt. Elles se disent alors je vais proposer un casual friday dans ma boîte. Sauf que Facebook n’est pas Facebook parce que Zuckerberg est en sweat. Facebook est Facebook parce que personne ne remarque qu’il est en sweat. Ce n’est pas un événement. C’est dans la culture, c’est naturel.

C’est d’ailleurs toute la difficulté, quand quelque chose fait partie de votre culture, vous ne le remarquez pas. Par exemple chez nous à LEDR on a des congés illimités. Ça me paraît d’une banalité dans notre contexte… Personne chez nous ne fait la remarque. C’est seulement quand j’en parle avec une personne externe que ça interpelle et que je me rappelle que c’est un élément propre à notre culture.

Le but de l’annonce n’est donc pas de singer d’autres organisations mais bien de refléter le plus fidèlement possible ses points forts et faibles, sa propre culture.

#3 | On n’écrit pas pareil à tout le monde

Cette phrase je l’entends sous plusieurs variantes :

  • On n’écrit pas pareil à un comptable qu’à une commerciale
  • On n’écrit pas pareil aux jeunes qu’aux autres
  • On n’écrit pas pareil à un profil de dirigeant qu’aux autres

Ce qui est marrant, c’est que cette phrase est dite par des personnes qui écrivent… les mêmes annonces peu importe le métier. Pire encore : elles écrivent les mêmes annonces que leurs concurrents. Pire que pire encore : elles écrivent les mêmes annonces que tout le monde. Il n’y a aucune variation dans leur écriture : c’est un copié-collé de la fiche de poste. L’immense majorité des annonces, si on cache le nom de l’entreprise et le poste, c’est la même annonce. Jusque dans la personnalité demandé : rigueur, dynamisme.

J’ai donc du mal à comprendre cet argument.

D’autant plus qu’il y a une forme de condescendance dans ce cliché. L’idée qu’il faudrait écrire dans un parler jeune pour parler aux jeunes.

J’affirme que tout le monde préfère une annonce bien écrite à une annonce bouillie. Peu importe le métier, l’âge. Il existe des règles universelles de bonne écriture.

Il est vrai qu’on adapte son message à la cible. Mais pas spécialement avec le niveau de langage. Ce qu’on va adapter c’est avant tout le fait de répondre aux problématiques de la cible. Donc effectivement, dans une annonce pour des développeurs on va peut-être mettre en avant que chez nous ils pourront travailler sans interruptions intempestives alors qu’on dira à des commerciaux qu’ils pourront travailler sans pression malsaine des chiffres.

Ce n’est pas mon langage que je change mais bien ce que je dis, ce que je vends. Il n’y a pas une technique cachée obscure qui fonctionnerait avec les uns mais pas les autres. Je vais à chaque fois me concentrer sur ce que veut ma cible.

Après, je ne nie pas qu’il existe des publics plus exigeants. Plus une personne a une situation favorable sur le marché de l’emploi et plus elle va exiger une annonce bien écrite. Voilà pourquoi les personnes qui recrutent des développeurs ont tendance à écrire de meilleures annonces, de meilleurs messages d’approche. Parce que sinon elles se font ignorer.

Mais, ça ne veut absolument pas dire qu’il faille se contenter d’annonces moyennes dans les autres secteurs parce que les candidat·es sont trop en situation de faiblesse sur le marché pour se permettre l’exigence. 

#4 | On n’a pas besoin de faire des efforts car notre marque est déjà connue

Souvent, cette phrase est rapportée : c’est celle d’un manager. Comment y répondre ? Tout d’abord en se posant la question : est-ce vrai ?

Qui peut vraiment se targuer d’avoir une notoriété employeur au point de ne pas avoir besoin de réexpliquer sa culture ? Et, attention, je ne parle pas de notoriété commerciale. Parce que, des gens qui vont être attirés par l’image du produit et non l’image de l’entreprise, ne seront pas forcément de bonnes recrues.

Les entreprises comme Disney, Coca-Cola, Apple sont mécaniquement confrontées à ce problème : le grand public les connaît, certes. Mais pas en tant qu’employeur.

D’ailleurs, même en oubliant ça… il y a 40 entreprises dans le CAC 40. Et elles peuvent tous se targuer d’être connues. Donc elles sont au moins en compétition entre elles en ce qui concerne la notoriété.

Mais surtout, c’est un contresens total. En effet, si on fait le parallèle avec la marque commerciale, a-t-on jamais observé que les marques les plus connues sont celles qui investissent le moins en publicité ?

En 2020, le top 10 des entreprises dépensant le plus en publicité en France était le suivant :

  1. E. Leclerc
  2. Renault
  3. Intermarché
  4. Lidl
  5. Procter & Gamble
  6. Carrefour
  7. Orange
  8. Amazon
  9. Bouygues Telecom
  10. Mc Donalds

Vous voyez que vous connaissez chacune de ces entreprises. Sauf si vous ne reconnaissez pas immédiatement Procter & Gamble qui est une entreprise qui possède plein de marques : Always, Febreze, Gillette, Head & Shoulders, Monsieur Propre, Pampers, Tampax…

Pourquoi ? Parce qu’une entreprise connue n’arrête pas de communiquer. Au contraire. La marque la plus connue au monde est Coca-Cola. Pourtant, Coca n’arrête pas de faire des efforts publicitaires.

Au fond, le manager le sait très bien : il n’appellerait pas à ce qu’on réduise les budgets publicitaires du produit ou du service de l’entreprise. Il ne le fait que pour le recrutement. Parce qu’il ne comprend pas la discipline.

Dire qu’on n’a pas besoin de travailler ses annonces parce qu’on reçoit déjà des candidatures relève d’un profond mépris pour la discipline.

#5 | Pour écrire une annonce il faut une bonne plume 

Souvent j’ai cette inquiétude qui émerge au début de la formation : certaines personnes ne se sentent pas à la hauteur pour écrire. Parce qu’elle pensent que tout le monde ne peut pas apprendre à écrire. On écrit bien ou on écrit mal.

Or, l’écriture, comme toutes les disciplines, s’apprend. Surtout quand il s’agit d’écriture non-artistique. Écrire une annonce c’est une technique. Une technique ça s’apprend.

On ne cherche pas à produire une oeuvre artistique ni même, on l’a vu, un texte drôle. On cherche à produire un texte qui donne envie aux bonnes personnes de postuler (et qui dissuade les autres).

Cette discipline a un nom : le copywriting. Le copywriting est l’art d’écrire des mots qui déclenchent des actions. Souvent des actes d’achat, mais ça peut aussi déclencher des partages, des candidatures, etc.

C’est une discipline qui a un siècle d’expérience derrière elle. Le plus vieux livre de copywriting que j’ai lu s’appelle Scientific Advertising, il a été écrit en 1923 et dedans on y parle déjà d’A/B testing alors que beaucoup de gens prétendent que ça a été inventé par la campagne d’Obama en 2008.

Par conséquent, il est donc assez facile d’avoir accès à des manuels en la matière. Pour débuter, je te conseille The copywriter’s Handbook.

J’ai vu des personnes faire des progrès énormes en peu de temps (moins d’un mois). J’ai vu des personnes atteindre un niveau professionnel de copywriting en partant de zéro, en six mois. Parce que c’est une écriture qui obéit à des principes connus et facile à apprendre. Au contraire de l’écriture artistique qui est beaucoup plus longue à apprendre.

#6 | J’ai pas le temps

Bon, ça en vrai ce n’est pas spécifique aux annonces : on a toujours cette excuse quand on ne veut pas faire quelque chose. On dit que ça prend trop de temps.

Alors que ça ne veut rien dire. Est-ce qu’un pizzaïolo dit que ça prend trop de temps de mettre de la vraie mozzarella sur ses pizzas ? Oui, certains le pensent et utilisent des produits industriels. Mais ils ne le revendiquent pas fièrement. Parce que tout le monde comprend que ça fait d’eux de mauvais pizzaïolos. 

Si quelqu’un dit qu’une tâche de son métier prend trop de temps on en déduit que cette personne n’aime pas son métier. Que penserait-on d’un chauffeur Uber qui dirait ça prend trop de temps d’attendre que les gens montent dans la voiture ? Que penserait-on d’un député qui dirait ça prend trop de temps d’aller voter à l’Assemblée Nationale ?

C’est pareil ici : si la rédaction d’annonce fait partie du métier de recruteur, on ne peut pas dire que ça prend trop de temps. 

D’autant plus que le temps ne se gagne pas vraiment : quand on écrit une mauvaise annonce on s’expose à recevoir plein de candidatures non qualifiées et in fine à perdre encore plus de temps quand on va devoir trier. De manière générale on gagne rarement du temps en sautant des étapes cruciales. En faisant ça on se contente de reporter le problème.

Derrière cette excuse du temps, se cachent souvent la peur. On a peur car on ne sait pas comment écrire et qu’on ne sait pas les réactions que cela va susciter. Parfois c’est une peur plus insidieuse : on se dit que si on met un effort pour écrire son annonce et que ça ne change rien on va le prendre vraiment mal. Alors autant ne rien changer.

Parfois c’est simplement la peur de mal faire. Ou même simplement le blocage de ne pas savoir faire, sans forcément de peur associée.
La bonne nouvelle c’est qu’avec une méthode on peut écrire très vite de bonnes annonces. Certes, ce sera toujours moins rapide que du copié-collé, mais ce sera plus gratifiant, plus épanouissant. Car, faire son métier vite et mal ne fait plaisir à personne. On le fait toujours parce qu’on se sent contraint. Ce qui nous amène au dernier point.

#7 | (L’ATS/La RH/La marque employeur/ Le manager) me bloque

Je ne dis pas qu’il n’existe pas des blocages. Mais j’ai observé qu’on a tendance à exagérer sa propre impuissance. D’ailleurs c’est paradoxal quand on me dit que la direction ne veut pas que les annonces changent alors que c’est la direction qui m’a appelé.

C’est un phénomène très courant : des personnes présument de ce que veut la direction et ça devient une vérité partagée.

Une fois une apprenante me dit on ne peut pas changer les annonces, la direction ne voudra pas. Par hasard, il se trouvait que notre formation avait été demandée directement par le président. Et, encore meilleur hasard : son bureau n’était pas loin. Je suis donc allé lui demander à la pause.

Il m’a répondu mais bien sûr que je veux qu’on change nos annonces ! Je lui ai alors demandé s’il pouvait venir le dire à la fin de la formation. Ce qu’il a fait.

Des histoires comme ça, j’en ai plein. Parfois je fais la même formation à deux groupes différents, de la même entreprise. Dans un groupe les gens me disent qu’ils peuvent rien changer aux annonces, dans un autre ils m’expliquent comment ils ont fait pour contourner les blocages.

La question est donc de se recentrer sur ce qui est en notre pouvoir plutôt que de se paralyser sur ce qu’on ne peut pas changer. Il y a forcément une marge de manoeuvre, aussi petite soit-elle. C’est sur cette marge qu’on va se concentrer.

D’expérience, on peut quasiment toujours travailler la structure de son annonce. Or, ça tombe bien, la structure est un des éléments le plus important. Si vous ne pouvez pas illustrer avec des images parce que votre site carrière ou votre ATS ne le permet pas c’est vrai que c’est regrettable. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire.

Au final, se battre pour faire changer les choses en interne fait partie intégrante du métier de recruteur.

Conclusion

Nous voici donc désormais avec la liste des fausses excuses les plus courantes en ce qui concerne les annonces. Celles qui font qu’on ne fait rien pour les changer, alors même qu’on a parfaitement conscience qu’elles ne sont pas géniales. Les identifier chez soi permet de les contourner. Les identifier chez les autres permet de savoir à quoi s’attendre quand on essaie d’améliorer les pratiques en interne.

Au final, tous les points que j’ai détaillés sont des variations de la même peur : celle de ne pas savoir comment écrire une bonne annonce. Ou alors celle de changer ce qui existe déjà.

Or, il se trouve que c’est précisément notre métier de réfléchir aux techniques de recrutement pour les enseigner.

Prends RDV avec nous là-dessous pour en discuter avec notre équipe 🙂

L’étude qui montre qu’on cherche toujours à se recruter soi-même

Ce qui se cache derrière “le savoir-être”

J’ai toujours voulu ancrer mes contenus dans des bases scientifiques. En effet, l’expérience c’est bien mais on le sait : si on se fie à nos intuitions alors on se dit que la Terre est plate.

Jusqu’ici je le faisais en lisant des personnes qui avaient lu les articles scientifiques. Par exemple Lazlo Bock dans son livre Work Rules a toute une partie où il résume les recherches sur l’entretien structuré et pourquoi il a déployé ça sur Google.

Idem pour le livre l’entrevue structurée qui fait un grand résumé des études sur le sujet.

Puis, il y a bientôt 2 ans, Tania Ocana a rejoint l’équipe de formateurs que l’on constituait, Aurélien Boutaudou et moi. Or, comme toutes les personnes qui ont un doctorat, elle a cette culture d’aller directement lire la littérature scientifique. En la voyant faire j’ai eu envie de le faire à mon tour. Sauf que…

C’est super dur. Déjà il faut savoir que y’a un Google Spécial : Google Scholar.  Je l’ignorais. Chercher un article scientifique dans le Google normal c’est un enfer.

Je passais des heures à trouver un endroit où l’article était disponible gratuitement. Alors que dans Google Scholar on a l’endroit où il est gratuit à peu près une fois sur deux. Mais même ça c’est un concept à maîtriser : beaucoup d’articles scientifiques sont en réalité accessibles légalement et gratuitement même quand des sites les vendent.

J’ai donc commencé petit à petit à découvrir comment on fait. Mais y’a encore une barrière : beaucoup d’articles scientifiques sont tout simplement très mal écrits.

Pendant un moment j’ai cru que c’était la barrière de la langue (car oui, la plupart sont en anglais). Jusqu’à comprendre que non. Un jour je suis tombé sur une étude bien écrite et là j’ai compris que ce n’était pas une question de langue mais bien de clarté. Car, la clarté n’est pas le critère d’évaluation d’un article scientifique. Par conséquent elles sont souvent obscures.

Et c’est là qu’est arrivé la dernière révolution qui m’a aidé à accomplir mon objectif : Claude.

Claude n’est pas un nouveau formateur qu’on aurait recruté mais bien une IA. La différence avec ChatGPT ? Claude a une mémoire bien plus grande et lit les PDF. Claude peut retenir jusqu’à 75 000 mots (sachant que le premier tome d’Harry Potter fait 77 000 mots).

Et donc j’ai commencé à balancer des articles scientifiques dans Claude en lui disant :

Résume moi cet article scientifique. Traduis le titre et rajoute un sous titre explicatif. Mets moi les rubriques suivantes : le contexte, un résumé global, un résumé détaillé, les points à retenir et les choses les plus étonnantes (contre intuitives). Si possible met également une rubrique « limites »

Utilise le markdown pour mettre en forme, mets du gras de l’aération. Rajoute également des exemples pour illustrer chaque point si tu en trouves dans l’étude. Tu peux même rajouter une rubrique « exemples d’illustration ».

Prends ton temps pour résumer, privilégie un résultat long. Au moins 2000 mots.

Le résultat est loin d’être parfait mais il m’a permis de débroussailler les articles afin de savoir lequel je voulais lire.

Et c’est comme ça que, pour la première fois, j’ai lu en long en large et en travers un article. Alors que jusque là j’avais toujours lu en diagonale. Je me suis donc plongé dans :

Hiring as Cultural Matching: The Case of Elite Professional Service Firms – par Lauren Rivera (2012)

Qu’on pourrait traduire par :Le recrutement est un processus d’évaluation culturelle : étude de cas des entreprises de services hauts de gamme.

Et je vais te résumer ce que j’en retiens.Petite note avant de commencer : par facilité je vais dire indifféremment les recruteurs pour regrouper les recruteurs, les recruteuses et les managers qui recrutent. Car, l’autrice observe toutes les personnes impliquées dans le recrutement.

Pourquoi cette recherche est un accident ?

Cet article est un cas d’école de sérendipité. Tu sais c’est quand on trouve ce qu’on ne cherchait pas. Par exemple Christophe Colomb trouve l’Amérique alors qu’il cherchait l’Inde.

Et bien ici, Lauren Rivera cherchait à l’origine à faire une étude sur les inégalités de genre dans le recrutement. Comment le fait qu’on soit un homme ou une femme va influencer les chances de recrutement.

Mais en analysant les premières données, elle se rend vite compte que LA chose qui influence le plus les chances de recrutement dans les entreprises qu’elle analyse c’est la recherche d’un savoir-être.

Elle ne le dit pas comme ça.

Premièrement parce que le concept de savoir-être est une escroquerie (on l’a vu ici : https://blog.lecoledurecrutement.fr/le-savoir-etre-professionnel-existe-t-il/)

Deuxièmement parce que le concept n’a même pas de traduction en anglais. Personne en anglais n’utilise cette catégorie. Probablement parce que justement elle n’a aucun sens. En revanche, elle est remplacée par cultural fit. L’idée qu’on cherche une personne qui a les bons codes culturels.

Tu me diras que ce n’est pas pareil et qu’il est effectivement important de faire attention à recruter des personnes qui vont s’épanouir dans une culture.

Oui MAIS on va voir ensemble pourquoi les recruteurs disent cultural fit mais en réalité ils cherchent autre chose.Lauren Rivera choisit donc de démontrer que ce cultural fit se déploie en trois axes.

  1. Les entreprises elles-mêmes encouragent les recruteurs et managers qui recrutent à évaluer ce cultural fit, ces soft skills
  2. Le fait de partager des bases communes avec les candidat·es nous permet de mieux comprendre leur parcours
  3. Le concept de l’étincelle : l’excitation que l’on ressent quand ça fit avec quelqu’un et qui nous fait insister pour défendre l’embauche des candidat·es qui nous l’ont fait ressentir.

Elle se focalise sur trois types d’entreprises : des banques, des cabinets de conseil et des cabinets d’avocats.

Et, dès le début de ces recherches elle constate que cette histoire de cultural fit est totalement assumée. En cela elle démontre qu’il est faux de dire que les recruteurs ne s’intéressent que depuis récemment aux soft skills. Au contraire : ils ne font que ça, depuis toujours.Si bien que, dans une des entreprises, 40% des évaluateurs déclarent que c’est le critère le plus important alors qu’il existe un cas pratique !

On est donc dans un process où les candidat·es passent un cas pratique poussé sur leurs compétences et pourtant 40% des recruteurs disent que le plus important c’est le fit avant les résultats au cas.

Le recrutement n’est il QUE ça ? Une recherche des soft skills ?

Essayer de trouver des personnes qui vont s’épanouir dans une culture d’entreprise est plutôt une démarche validée par les scientifiques. 

La bonne manière de se servir de la culture dans l’évaluation

“Les universitaires spécialisés dans le management ont examiné les avantages de recrutement sur la base de l’adéquation entre les compétences des candidats et celles requises par les emplois (Cable et Judge 1997).

En outre, à la suite du virage culturel en matière de management, de nombreux employeurs utilisent la culture d’entreprise comme moyen de motiver les employés.  Une culture forte est souvent considérée comme un facteur d’amélioration de la productivité, de la rentabilité et de la compétitivité des entreprises (Barley et Kunda 1992).

Par conséquent, certains chercheurs préconisent de sélectionner les nouvelles recrues en fonction de l’adéquation entre la culture d’une entreprise – définie comme les valeurs partagées qui définissent le comportement approprié sur le lieu de travail – et les traits de personnalité stables des candidats (par exemple, l’extraversion par rapport à l’introversion) et les valeurs professionnelles (par exemple, une préférence pour le travail en autonomie par rapport au travail collaboratif).

De telles correspondances peuvent améliorer la satisfaction des employés, leur performance et leur rétention (Chatman 1991)”

En d’autres termes : on peut améliorer les performances et diminuer le turn-over en analysant la culture d’entreprises sous deux aspects.

1/ Existe-t-il des traits de personnalités qui contribuent à la réussite dans cette entreprise ? C’est important de bien comprendre tous les mots de cette phrase. Il ne s’agit pas de décréter qu’on veut des gens extravertis. Il faut voir quel trait a une influence directe sur la performance. Par exemple pour les salarié·es de l’Ecole du Recrutement on s’est rendus compte que l’extraversion ne changeait rien. On a des personnes extraverties et introverties. La “rigueur” (consciensciosité) non plus. En revanche, toutes les personnes qui ont une performance chez nous scorent plutôt haut sur l’ouverture aux nouvelles expériences.

2/ Existe-t-il un style de travail dans cette entreprise ? Des valeurs professionnelles ? Par exemple à l’Ecole du Recrutement on travaille énormément en autonomie, à distance donc il faut des personnes compatibles avec ça.

Si on procède ainsi, alors ça va. Sauf que… les universitaires sont perdu·es : il y a des zones d’ombre sur comment les entreprises recrutent. Les données nous indiquent que ce n’est pas comme ça que ça se passe. Alors… comment ?

Comment ça se fait que la plupart des recruteurs affirment rechercher ce cultural fit mais qu’on ne le retrouve pas dans les données ?

Mystère ?

C’est parce qu’il y a un quiproquo sur cette notion :

“Cependant, la notion de compatibilité culturelle utilisée par les recruteurs de cette étude diffère de cette conception, car ici elle se réfère généralement aux styles de vie des personnes – la façon dont les candidats préféraient se comporter en dehors du bureau – plutôt qu’à leur style de travail”

Les recruteurs ne cherchent donc pas à faire correspondre les candidat·es avec les traits de personnalité directement liés à la performance et les valeurs professionnelles. Ils cherchent à faire autre chose. Ils regardent plutôt les loisirs, la manière de se tenir…

Ils cherchent à avoir quelqu’un qui peut passer le test de l’aéroport.En France j’ai plutôt entendu parler du test du verre. Avec des gens qui disent que pour recruter il faut chercher une personne avec qui on aimerait prendre un verre. Alors que dans le monde anglo-saxon on a plutôt ce test de l’aéroport. Le voici décrit par un des recruteurs :

L’un de mes principaux critères est ce que j’appelle le « test de l’aéroport ».

Voudrais-je être coincé dans un aéroport de Minneapolis dans une tempête de neigeavec cette personne ? Et si je suis en voyage d’affaires pendant deux jours et que je dois dîner avec cette personne, est-ce que cette dernière est le genre de personne avec qui j’aime passer du temps ? Bien entendu il faut aussi remplir un minimum des critères de base, avoir un minimum de compétences, un minimum d’intelligence, etc.

Mais en réalité, s’ils réussissent ce test, c’est ce qui est le plus important pour moi.

En d’autres termes, les recruteurs cherchent avant tout des similitudes personnelles. En cela, Lauren Rivera remarque que ça ressemble énormément à la manière dont on mène des dates, des rencards amoureux.

Ce n’est pas un hasard

Mais surtout, selon elle, ce n’est pas un accident. Les recruteurs le font consciemment. Car ils croient profondément que ce fit va permettre ensuite de fidéliser la personne et d’augmenter la cohésion.

Ce ne sont d’ailleurs pas des initiative individuelles, mais bien des démarches assumées des décideurs eux-mêmes.

Dans ces entreprises, le cultural fit est un critère d’évaluation formel et officiel intégré à la présélection et au processus de recrutement des candidats.

Omar, associé d’un cabinet d’avocats, explique : « Pour nos nouveaux collaborateurs, nous recherchons avant tout le cultural fit. Quelqu’un qui … . s’intégrera ».

Cette notion de cultural fit ou en tout cas de similitude perçue entre les loisirs, le parcours et la manière de se présenter des candidats avec celles des salariés existants de soi a été un facteur clé de l’évaluation dans toutes les entreprises observées. Les évaluateurs ont décrit le cultural fit comme l’un des trois critères les plus importants qu’ils utilisent pour évaluer les candidats lors des entretiens d’embauche ; plus de la moitié d’entre eux ont indiqué qu’il s’agissait du critère le plus important au stade de l’entretien d’embauche, classant le cultural fit avant l’esprit d’analyse et la communication.

En réalité… ce que les gens recherchent ce sont des potes. Certains le formalisent presque directement :

Une grande partie de ce job est une question d’attitude, pas d’aptitude …. donc le cultural fit est vraiment important. Vous savez, vous verrez davantage vos collègues de travail que votre femme, vos enfants, vos amis, et même votre famille. Tu peux donc être l’homme le plus le plus intelligent qui soit, mais je m’en fiche. J’ai besoin de me sentir à l’aise quand je travaille tous les jours avec toi, mais aussi si je suis coincé dans un aéroport avec toi, mais aussi si je dois aller boire une bière avec toi après. Il te faut donc une alchimie.Pas seulement que une personne intelligente, mais une que j’apprécie.

Trouver des personnes avec qui on s’entend

C’est donc une décision consciente et non un accident. Les recruteurs et les managers qui recrutent cherchent activement des personnes avec qui ils s’entendent le mieux plutôt que des personnes qui travaillent le mieux dans le contexte de l’entreprise.

Là encore, tous les mots sont importants. Parfois quand on dit aux gens qu’il faut recruter sur les compétences ils pensent qu’on parle uniquement des compétences techniques. Mais non, pour reprendre à nouveau l’exemple de l’Ecole du recrutement, nous recrutons sur le trait de personnalité ouverture aux nouvelles expérience ainsi que sur la valeur professionnelle travail en autonomie.

Mais ce ne sont pas des points pris au hasard parce que ça plaît à une personne. Ce sont les points qui permettent aux personnes d’avoir le plus de chances de travailler le mieux dans le contexte de l’organisation “L’école du recrutement”.

J’ai été le premier à faire l’erreur au tout début : je cherchais des personnes qui me ressemblaient. Donc des personnes ouvertes aux expériences mais également plutôt détendues (pas trop sensibles aux stress) et avec un mépris des règles.

Jusqu’à ce que je comprenne qu’il n’y avait qu’une seule partie de ma personnalité qu’on cherchait à cloner : l’ouverture à l’apprentissage et aux savoirs. Tout le reste de la personnalité est hors-sujet.

On utilise des raccourcis d’évaluation au lieu d’évaluer 

Je te le disais : les recruteurs disent qu’ils évaluent le cultural fit. Mais ils font autre chose. Ils ne cherchent pas l’adéquation au niveau des traits de personnalités stables pour la performance, les valeurs professionnelles et les candidat·es.

Pourquoi ? Parce que chaque personne interprète différemment le cultural fit. Rappelle-toi, le dirigeant du cabinet d’avocat qui dit :« Pour nos nouveaux collaborateurs, nous recherchons avant tout le cultural fit.”

Tout à l’heure j’ai traduit la suite par : « … Quelqu’un qui … . s’intégrera ». Sauf que dans le texte original c’est : “In our new associates, we are first and foremost looking for cultural compatibility. Someone who . . . will fit in.”

Le cultural fit est donc définit par quelqu’un qui fit…  forcément ça laisse libre cours à l’interprétation.

Les interprétations diverses

Donc ça prend plusieurs formes. Par exemple une analyse des loisirs :

Je regarde les centres d’intérêt qui figurent sur son CV – hockey sur gazon, squash, aviron [rires]. Je suis en train de définir son type de personnalité, et je ne pense pas qu’il s’adaptera bien ici. Nous sommes plus rudes et plus fougueux. Je préfère ne pas le recruter ».

Ce qui est marrant c’est que les loisirs qui invalident un recrutement dans une entreprise seront vus au contraire comme des avantages dans d’autres :

Par exemple, Kelly, responsable des ressources humaines dans une banque d’investissement, vêtue d’un cardigan pastel boutonné et de perles, affirme : « Je devrais choisir Blake et Sarah. Lui fait du Hockey sur Gazon et elle du Squash, ils s’entendraient vraiment bien tous les deux dans la salle de trading »

Les recruteurs peuvent aussi se servir de la manière d’être et les centres d’intérêts :« Il s’est bien débrouillé sur le cas et s’est exprimé très clairement. C’est un mec très intéressant avec une bonne histoire. Mais je pense qu’il est trop intellectuel pour [NOM DE L’ENTREPRISE]. Tu sais, il est vraiment passionné par la littérature du 18e siècle et le cinéma d’avant-garde. Je ne pense pas qu’il serait un bon élément pour l’équipe. » Le candidat n’a pas été rappelé.

Les recruteurs utilisent donc leurs propres définitions du cultural fit. L’expérience des évaluateurs influençait non seulement les critères qu’ils utilisaient pour évaluer les candidats, mais aussi comment ils définissaient et mesuraient le mérite dans un domaine donné.

Par exemple, toutes les entreprises demandaient aux évaluateurs de déterminer la motivation ou l’ambition des candidats, le plus souvent à travers des postes de leadership dans des organisations extrascolaires.

Cependant, en l’absence de normes claires pour évaluer cette qualité abstraite, les expériences personnelles des évaluateurs influençaient ce qu’ils considéraient comme une expérience de qualité en dehors de la salle de classe.

Est-ce en rapport avec le besoin de “soft skills” d’un poste ?

Mais le plus fou c’est que plus les métiers ont une dimension sociale et moins les recruteurs accordent de l’importance au cultural fit et aux soft skills.

Ça devrait être l’inverse ! Mais non :

Il est intéressant de noter que l’importance accordée au cultural fit n’augmente pas avec les contraintes liées au poste, qu’il s’agisse du contact avec le client ou avec une équipe. La recherche de cultural fit était la moins importante dans le secteur du conseil, où le travail est pourtant davantage axé sur les relations interpersonnelles. Elle était plus importante dans les cabinets d’avocats, où pourtant les compétences interpersonnelles sont peu utilisées au cours des premières années de travail.

L’utilisation du cultural fit n’est donc pas un pur reflet des exigences en matière de compétences sociales d’un poste. Conformément aux recherches suggérant que les formats d’entretien structurés peuvent réduire la subjectivité de l’évaluation, l’importance de l’adéquation a diminué avec l’inclusion de questions techniques dans les entretiens.

Dans le domaine du conseil, l’utilisation de questions professionnelles basées sur des cas concrets a fourni aux évaluateurs des bases d’évaluation des candidats autres que la similarité culturelle.

Le raccourci n’est donc absolument pas lié à un impératif de performance au travail. Contrairement à ce qu’on entend parfois. Ce n’est pas ce qui nous motive. Ce qu’on recherche c’est juste des personnes avec qui on va s’entendre. Car, par exemple, plus une entreprise avait des nécessités de travailler le soir et plus les recruteurs cherchaient le cultural fit.

Je dis que c’est un raccourci car, au lieu de chercher à évaluer directement les compétences sociales en contexte professionnels (ce qui serait légitime), ils évaluent les compétences sociales hors du travail. C’est ça qui est étonnant.

D’ailleurs, les personnes interrogées ont tendance à minimiser les compétences techniques directes. Mais je pense que c’est parce qu’elles ne savent pas les évaluer. Je dis je car ce n’est pas très détaillé dans l’article de Lauren Rivera. Mais elle donne quand même cette piste :

Conformément aux recherches universitaires suggérant que les formats d’entretien structurés peuvent réduire la subjectivité de l’évaluation, l’importance du cultural fit a diminué avec l’inclusion de questions techniques dans les entretiens.

Dans le domaine du conseil, l’utilisation de questions professionnelles basées sur des cas concrets a fourni aux évaluateurs des bases d’évaluation des candidats autres que le cultural fit.

Bon… on a compris…Les recruteurs disent qu’ils évaluent le cultural fit. Mais ils évaluent autre chose. Mais quel est cette autre chose ? Puisque chaque personne semble faire un truc différent ?

C’est là qu’arrive selon moi le moment le plus intéressant de l’article de Rivera.

Les recruteurs cherchent des personnes qui leur ressemblent

Les gens ne se l’avouent pas.Ou du moins c’est ce que je croyais.Selon l’autrice une majorité de personnes en sont totalement conscientes quand on creuse !Stephanie, directrice du recrutement dans le secteur bancaire résume : « En fait, on se recrute soi-même. Ce n’est pas un processus objectif ».

Et on ne parle pas d’une manager qui recrute. On parle bien de la personne qui est directrice du recrutement de son entreprise. Ça a le mérite de la lucidité.

On le fait consciemment, ce n’est pas un biais inconscient

Mais pourquoi les gens assument à ce point que le cultural fit s’évalue en cherchant quelqu’un qui leur ressemble ?

Au début j’étais étonné. Puis en lisant les témoignages je me suis reconnu au début de ma carrière. Quand je recrutais pour l’Ecole du recrutement je cherchais quelqu’un comme moi en me disant exactement ça :

Les évaluateurs ont également évalué le cultural fit en utilisant leur propre personne comme calque. La logique qui sous-tend cette méthode d’évaluation du cultural fit est qu’un évaluateur représente l’entreprise et sa personnalité. Si un candidat correspond à l’évaluateur, alors il correspondra aux autres employés.

L’avocat Carlos nous a expliqué :  » Tu te sers de toi-même pour mesurer l’adéquation parce que c’est la seule chose sur laquelle tu peux t’appuyer « .

Ce qui est marquant c’est que cette démarche n’est pas la même selon l’étape du process. À l’étape du tri de CV les recruteurs ont davantage tendance à chercher des indices dans le life style, les loisirs des candidats. Alors qu’à l’étape de l’entretien ils vont plutôt se servir d’eux-même comme calque pour évaluer. Donc ils cherchent quelqu’un qui leur ressemble.

Plus profond encore, ils vont définir la notion même de mérite comme quelqu’un qui a fait comme moi. »Les évaluateurs ont utilisé leur vécu personnel comme grille avec laquelle ils ont évalué la valeur intellectuelle, sociale et morale des candidats. Cependant, contrairement à ce qu’on a pu observer dans des études sociologiques antérieures sur l’identité dans le cadre de l’évaluation, l’utilisation de la similitude avec le soi était généralement active et intentionnelle.

En l’absence de réponses concrètes aux questions de l’entretien et de prédicteurs fiables des performances futures, les évaluateurs ont délibérément utilisé leurs propres expériences comme modèles de mérite.

Ils pensaient que, parce qu’ils avaient réussi dans leur carrière, les candidats qui leur ressemblaient sur le plan de l’expérience auraient plus de chances de réussir dans leur travail.Essentiellement, ils ont défini le mérite de manière à valider leurs propres forces et expériences et par conséquent à percevoir les candidats similaires comme de meilleurs candidats. »

En d’autres termes : ce n’est pas un biais inconscient. Les recruteurs se rendent bien compte que les réponses des entretiens non-structurés ne leur permettent pas de prédire une performance. Ils se rabattent donc consciemment sur ce substitut. 

Le parallèle avec les rencards amoureux, les dates

Puisque les méthodes d’entretien qu’on leur fournit (entretien non-structuré) sont inopérantes ils se rabattent sur ce qu’ils connaissent : un date, un rencard amoureux.

Certains le disent d’ailleurs exactement comme ça :

“La meilleure façon de le décrire est de le comparer à un rendez-vous galant. Tu sais en quelque sorte qu’il y a une compatibilité ». Ou alors ils utilisaient le test de l’aéroport dont je t’ai parlé plus haut :

Outre les sentiments intangibles de  » compatibilité « , environ 80% des évaluateurs ont utilisé une technique connue sous le nom de  » test de l’aéroport « , que les RH ont souvent approuvée. Et du coup… on fait quoi dans un date ?

On cherche une alchimie et donc des points communs !

La recherche d’expériences communes a stimulé les sentiments de « compatibilité » et d’ « alchimie » que les évaluateurs ont décrits comme des éléments essentiels de l’adéquation lors des entretiens.

L’avocate Denise a expliqué : « Je pense vraiment qu’il s’agit de trouver… quelque chose en commun avec votre interlocuteur ».

Les évaluateurs ont souvent évalué l’adéquation en bavardant pour briser la glace pendant les premières minutes de l’entretien. Ils ont expliqué qu’ils commençaient les entretiens en parcourant les CV à la recherche d’expériences communes pour briser la glace.

Comme l’a illustré l’avocat Jamie, ils recherchent généralement des similitudes extrascolaires ou extraprofessionnelles : « J’essaie généralement de commencer par quelque chose qui n’est pas lié à l’école de droit. Je jette un coup d’œil rapide à ses activités [extrascolaires] pour voir ce qu’il y a. J’essaie généralement de choisir quelque chose que je trouve intéressant… auquel je peux m’identifier ou dont je connais quelque chose ».

Certains recruteurs, comme l’avocat Carlos, recherchent explicitement des points communs biographiques : Je commence généralement l’entretien en disant : « Parlez-moi de vous ».

Lorsqu’on me pose cette question, je dis d’où je viens, où j’ai été élevé, puis mon parcours. Parler de son école de droit n’est selon moi pas une bonne façon de se commencer sa présentation. Je veux connaître ton vécu. Avec un peu de chance, il y a quelque chose de plus intéressant dans ta vie que la décision d’aller en école de droit… Quand on me parle de son parcours, il est plus facile de trouver des points communs… Peut-être que le candidat vient de Seattle et que je suis allé à Seattle. Nous pouvons en parler et nouer un lien.On voit donc que les recruteurs cherchent des points communs parce que ça permet aussi de briser la glace et de commencer la discussion. Sauf que ça ne s’arrête pas là…

Les critères d’évaluation varient selon la personne puisqu’elle cherche quelqu’un qui lui ressemble

Autre point qui m’a énormément marqué c’est à quel point ça devient n’importe quoi. Puisque chaque personne se sert de son vécu comme grille d’évaluation ça devient totalement contradictoire. Ça devient une loterie.

Des candidats qui auraient été recalés passent à l’étape d’après parce qu’ils partagaient un point commun avec l’évaluateur.

Mais, pire que ça…Les recruteurs qui ont eu de bonnes notes dans leurs études supérieures ont insisté sur l’importance d’avoir de bonnes notes. Alors, qu’à l’inverse, les recruteurs qui ont eu de mauvaises notes ont insisté sur le fait que ce n’est pas ça qui compte.

Les recruteurs qui ont fait des écoles qui ne sont pas dans le top 5 ont insisté sur le fait que les autres grandes écoles sont tout aussi bonnes :

L’avocate Nicole, qui était la major de sa promo dans une école de droit moins prestigieuse, a expliqué pourquoi, contrairement à la grande majorité des recruteurs de son cabinet qui viennent d’écoles du top 10, elle ne néglige pas les candidats qui obtiennent les meilleures notes dans des écoles qui ne font pas partie du top 10 :

« Les premiers de ma classe ont dû travailler d’arrache-pied depuis le premier jour; chacun de nos examens était sans documents autorisés, alors qu’à NYU, tous les examens sont avec autorisation d’utiliser des documents… le programme d’études est à peu près le même [qu’à NYU], les professeurs sont à peu près les mêmes… les examens sont à peu près les mêmes… Je pense vraiment que le premier de ma classe à la New York Law School peut rivaliser avec le premier de la classe de n’importe quelle autre école de droit ».

Les recruteurs qui ont fait du sport de haut niveau ont survalorisé les candidats qui ont fait du sport de haut niveau

Par exemple, les anciens sportifs universitaires valorisaient généralement la participation aux sports universitaires plus que tout autre type d’implication.Le consultant et ancien sportif Jake a illustré ces tendances en choisissant entre des profils de candidats :

« J’en sais moins, je l’admets, sur le fait d’être rédacteur en chef ou président d’un club que sur les sportifs. Donc, je ne suis franchement pas sûr que ces titres soient aussi exceptionnels que les deux sportifs. D’après ce que je sais sur ce qu’il faut pour être un sportif de première division et ce qu’il faut pour être un sportif de première division vraiment exceptionnel, je me fais une idée du temps et de l’engagement que cela demande.

Donc, les qualités de leadership d’un rédacteur chef ou d’un président de club sont probablement excellentes, mais elles ne m’impressionnent pas autant que ces deux sportifs. »

Il a classé les deux sportifs, Sarah et Blake, en première et deuxième positions respectivement, et a refusé de recevoir les non-sportifs qui avaient pourtant de meilleures notes, provenaient d’écoles plus prestigieuses et avaient une meilleure expérience de travail.

Et bien sûr, c’était l’inverse avec les recruteurs non-sportif. Ils avaient tendance à minimiser ce qu’on apprend dans le sport.

Toujours le même principe avec les matières de spécialisation choisies durant les études.

« Quand nous discutons des candidats, il y a presque toujours un gars orienté chiffres qui veut éliminer tout candidat ayant étudié autre chose que l’économie ou les mathématiques. Mais je viens d’une filière moins “chiffre” et je m’en suis très bien sortie. 

Je pense même qu’avoir un parcours dans une discipline moins figée peut aider les gens à mieux comprendre les clients et à être plus créatifs et flexibles. 

Donc, si je vois que tu as une spécialisation en histoire, cela peut effectivement être un plus. »

On le voit : chaque personne utilise sa propre évaluation basée sur son propre vécu. Et pour parachever le tout, Lauren Rivera mais à jour le concept que j’ai préféré découvrir dans son article.

Le phénomène des étincelles

Pourquoi on cherche quelqu’un qui nous ressemble ? On l’a vu parce que ça valide notre vision du mérite et de la réussite. Mais pas que…Bien sûr que c’est plus facile de trouver des sujets de discussion avec des personnes qui partagent des intérêts commun.Laurent Rivera appelle ça l’étincelle.Le point commun va déclencher en nous une excitation positive.La banquière Arielle a évoqué sa meilleure candidate récente :

  • « Elle et moi avons toutes les deux couru le marathon de New York… nous en avons parlé et ça a tout de suite collé… nous avons commencé à parler de notre amour commun pour traquer les célébrités à New York… nous avons eu cette connexion instantanée… je l’ai adorée.”

Mais ça ne s’arrête pas là : l’étincelle va colorer tout le reste de notre évaluation. Si on ressent cette étincelle on va l’interpréter comme une faculté du candidat à pouvoir convaincre un client, un talent commercial.

Alors qu’on rappelle que l’étincelle vient simplement du point commun avec nous. Donc un hasard.

Les étincelles d’émotions peuvent influencer la perception d’autres critères d’évaluation. Les recruteurs ont décrit les sentiments d’excitation comme une composante essentielle de l’alchimie qui est une condition préalable au fit culturel.

Ils ont souvent perçu la capacité à entamer immédiatement une conversation passionnante et sans effort sur la base d’intérêts communs comme un indicateur des compétences commerciales. Le banquier Christopher explique :

 » Tu t’entends bien avec le candidat. Et tu as l’impression que cette personne peut s’entendre avec n’importe qui ».Les sentiments d’excitation sont susceptibles d’influencer l’évaluation des compétences techniques. Les psychologues ont montré que les personnes qui éprouvent des sentiments positifs tels que l’excitation surpondèrent les autres points forts du candidat et négligent ses faiblesses.

Inversement, les personnes qui éprouvent des sentiments négatifs tels que l’ennui ou la lassitude exagèrent les faiblesses de ces candidats et négligent leurs points forts. En outre, les gens utilisent leur feeling comme mesure de la qualité, en supposant que les personnes qui leur font se sentir bien sont douées (pour une analyse, voir Clore et Storbeck, 2006).

Au-delà de ces biais bien documentés dans la prise de décision, une poignée d’intervieweurs ont admis qu’ils abaissaient parfois consciemment le seuil technique pour les candidats avec lesquels ils avaient une grande affinité. Le banquier Max a déclaré :

« Tu sais, si j’ai un vrai coup de cœur pour un candidat, je ne lui donnerai pas les notes qui le feraient s’effondrer. Je veux pouvoir revenir en arrière et dire : « Tout s’est bien passé » pour les faire passer à l’étape suivante ».

Le pouvoir structurant des étincelles affectives engendrées par les ressemblances au niveau culturel s’est surtout manifesté dans les délibérations qui ont suivi les entretiens. Les sentiments d’excitation poussent les individus à agir (Collins 2004). Lors de l’embauche, le niveau d’enthousiasme ressenti par les évaluateurs à l’égard des candidats a influencé leur volonté de les défendre lors des délibérations du groupe.

En raison du grand nombre de personnes interrogées, les candidats devaient avoir un champion – un évaluateur qui se battrait pour eux lors des délibérations – pour recevoir une offre pour un poste.

Au final, non seulement les candidats qui ont déclenché l’étincelle vont bénéficier d’un favoritisme lors des entretiens mais en plus ils ont bénéficier de toute la force de persuasion d’un ambassadeur qui va insister lors de la délibération finale pour qu’ils soient retenus.

On valorise les loisirs des hommes blancs aisés

L’article se finit sur une prise de recul : est-ce que cette pratique est discriminante ?

Elle commence en disant qu’il semblerait que ça ne procède pas d’une discrimination ethnique ou sexiste directe.Avec toutefois un bémol : puisqu’elle est elle-même une femme latino elle soupçonne que les gens se sont auto-censurés devant elle.

Mais du coup, les femmes ayant les bons loisirs voyaient bien leur chances augmenter. Idem pour les personnes noires avec les bons loisirs. Alors, est-ce que ça suffit à se dire que c’est ok ?

Non car les bons loisirs étaient toujours les loisirs de la classe sociale supérieure. Il y a donc bien un effet de discrimination mais avant tout sur la classe socioéconomique.

On rappelle que l’étude porte sur des banques, des cabinets d’avocat et des boîtes de conseil donc des environnements avec des personnes venant de milieux aisés.

Bien que les signaux culturels particuliers valorisés dans les entreprises d’élite n’aient pas été valorisés dans les entreprises d’élite ne soient pas artistiques, ils ont des dimensions socio-économiques importantes.

La mise à profit du temps du temps libre est une caractéristiques de la classe moyenne supérieure et, plus généralement, des élites (Lamont 1992 ; Veblen 1899). En outre, les évaluateurs ont eu tendance à favoriser les activités extrascolaires associées à la classe moyenne supérieure blanche. Or ces activités ne sont possibles qu’au prix d’un investissement de ressources matérielles et temporelles non seulement par les candidats à l’emploi mais aussi par leurs parents.

Il y a donc bien une discrimination socioéconomique qui s’exerce par cette démarche de cultural fit.

Pire encore, puisqu’un candidat ne peut pas choisir avec quel recruteur il va passer, il a tout intérêt à avoir la plus grande gamme possible de loisirs. Pour en trouver un qui parlera au recruteur. Or, qui a tendance à avoir un grand panel de loisirs ? Les enfants des classes aisées.

Déjà parce que c’est un critère de sélection dans les universités américaines mais aussi tout simplement parce que les parents ont davantage le temps de les y aiguiller et pousser.

On l’a dit : les candidats doivent avoir la plus grande gamme de loisirs. Mais pas seulement. S’il est vrai qu’une personne Noire ayant fait le bon loisir sera favorisée comme les autres… ce qui va être un bon loisir va être déterminé par la population majoritaire.

En effet, la probabilité que le recruteur soit un homme blanc est la probabilité la plus grande dans ces entreprises, donc il faut pouvoir avoir un point commun qui va résonner avec leurs loisir à eux.

Tu me suis ?

Au final ça veut dire que la personne Noire devra avoir fait des loisirs associés à la classe supérieure américaine blanche pour maximiser ses chances.

Idem pour les femmes, celles qui sont sorties du lot sont celles qui avaient des loisirs vus comme masculins.

Il y a donc bien une dimension discriminante mais elle a lieu avant même l’entretien.

Le dernier problème

On l’a vu : on cherche à trouver des personnes avec qui on s’entend bien plutôt que des personnes qui seraient à l’aise dans notre contexte de travail. Ce n’est pas qu’une nuance.

Sélectionner les nouveaux employés sur la base d’une implication importante dans certains loisirs pourrait se retourner contre nous à long terme en entraînant une inadéquation avec les exigences réelles du poste. En outre, le fait de laisser aux évaluateurs la possibilité de définir le mérite à leur propre image et de sélectionner des candidats qui les enthousiasment personnellement pourrait créer des conflits entre les objectifs de l’organisation et les objectifs individuels. Étant donné que les évaluateurs sont susceptibles de travailler en étroite collaboration avec les nouveaux employés, ils pourraient être incités à embaucher les candidats les plus agréables plutôt que les plus compétents ; en d’autres termes, ils pourraient embaucher pour eux-mêmes plutôt que pour l’organisation.

Mais tu connais déjà mon avis là-dessus… c’est pour ça que je passe autant de temps à te dire qu’il faut apprendre l’entretien structuré comportemental.

Mais ce n’est pas le sujet de ce résumé…

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Source :

http://www.asanet.org/wp-content/uploads/savvy/journals/ASR/Dec12ASRFeature.pdf

Comment distinguer jugement et évaluation dans le recrutement ?

On me demande souvent en formation comment faire pour s’assurer que les candidat·es disent la vérité en entretien ou sur leur CV. Mais on ne me demande jamais pourquoi les personnes nous mentent.

Pourquoi dans leur vie de tous les jours, les mêmes personnes mentent rarement mais que dès qu’elles sont mises dans la situation de candidater, elles commencent à mentir ?

Je pense que c’est parce que nous les jugeons et qu’elles trouvent ce jugement injuste.

“Me juge pas, j’aurai moins envie d’mentir” 

Pourquoi, autour de moi, il y a tant de personnes qui ont falsifié leurs fiches de paie pour obtenir un appartement à Paris ? C’est parce que nous sommes nombreux à trouver que la règle consistant à gagner trois fois le loyer à Paris est injuste. Concrètement, pour avoir un 22m2 près de République, il me fallait gagner 2310€ nets.

Ça me paraît absurde. Ça paraît absurde à beaucoup de gens. Donc ils se mettent à mentir pour contourner l’injustice.

Quand on ressent une injustice on s’autorise à mentir.

Il en va de même dans le process de recrutement. Pourquoi autant de personnes falsifient leur CV ? C’est parce qu’elles trouvent le jeu injuste. On triche parce que les règles ne nous vont pas. Prenons l’exemple du diplôme : énormément de personnes trouvent révoltante l’idée de filtrer les candidatures sur la base du diplôme. Or, il se trouve qu’énormément d’entreprises fonctionnent comme ça. Donc les candidats trichent.

Idem en entretien. Les personnes qui candidatent sentent qu’on les juge. Quand les recruteurs demandent quels sont vos défauts, les candidats ne sont pas dupes : ils voient très bien que la réponse va être soumise à jugement. Voilà pourquoi autant de gens répondent je suis perfectionniste. Ce qui veut dire, en sous-texte : je vais te dire que mon défaut c’est que j’aime les choses sans défaut comme ça tu vas arrêter de me demander de te donner un défaut que tu vas juger.

L’hypocrisie des entretiens au feeling

J’entends par entretien au feeling un entretien où les critères de décision ne sont pas directement liés à l’emploi et/ou n’ont pas été défini au préalable.

Souvent ce type d’entretien commence par racontez-moi votre parcours. C’est une question que les gens détestent parce que quand quelqu’un n’a pas préparé son entretien il commence toujours par cette question.

Attention, je ne dis pas que tous les gens qui posent cette question improvisent. Je dis que tous les gens qui improvisent posent cette question.

À ce moment commence la machine à juger. Combien de fois ai-je entendu y’a plein de candidats qui ne sont pas pas synthétiques ! On leur demande de raconter leur parcours et ils font un grand récit.

À chaque fois, je pense bah oui… ils RACONTENT, c’est exactement la question que tu as posé. Tu leur dis de raconter…ils racontent. Mais, par diplomatie, je dis mais tu souhaitais évaluer quoi avec cette question ? L’esprit de synthèse ? C’est un critère essentiel du poste ?

Parfois, j’entends qu’on place des pièges pour vérifier la motivation. On a déjà vu pourquoi c’était une mauvaise idée. Voilà un exemple :

Quand les personnes viennent en entretien et ne se sont pas renseignées sur l’entreprise, je ne veux même plus les écouter.

Ce à quoi je réponds : mais tu lui avais DEMANDÉ d’aller lire telle ou telle page ?

On me regarde alors avec des grands yeux. Pourtant, comment peut-on savoir qu’une personne ne s’est pas renseignée si on ne lui a pas donné de destination précise ? Sans compter que beaucoup de sites web d’entreprise sont illisibles, nous sommes les premiers à le reconnaître. Comment on sait alors que la personne n’a pas essayé de se renseigner puis s’est perdue dans les méandres du site Internet ? Et même si c’était le cas, que nous apprend vraiment cette information ?

Autre exemple, on me dit j’attends un peu avant d’aller à la rencontre de la personne. Entre temps, je l’observe à l’accueil et je regarde si elle parle aux gens.

Là encore… quel est l’intérêt ? Si elle ne parle pas aux gens on déduit quoi ? Que la personne est introvertie ? Et alors ? D’ailleurs si ça se trouve elle est juste stressée par la situation. Ou intimidée.

Dernier exemple, on m’a raconté une fois que toutes les activités personnelles étaient légitimes (encore heureux) mais qu’il faut pouvoir l’assumer en entretien (ah bon ?). Par exemple si je sais qu’une personne fait des photos de charme parce que je l’ai vu sur ses réseaux, j’attends qu’elle l’assume en entretien. Si elle n’aborde pas du tout le sujet c’est louche.

Je ne sais même pas quoi répondre. Même en admettant que ceci est un critère légitime, pourquoi ce serait louche ? C’est bien normal de ne pas vouloir aborder spontanément ce genre de sujet avec une personne inconnue. 

Ça me rappelle l’époque où les recruteurs et les recruteuses découvraient Facebook (donc vers 2013) et disaient non mais si une personne a des photos sur Facebook où elle est ivre en soirée ça la fout mal.

Là encore… pourquoi ?

Notre mission est d’évaluer un potentiel de performance

Nous ne devons pas manquer notre objectif de vue : prédire une performance. Tout le reste est parasite. Or, la performance est permise par une adéquation entre deux côtés.

Côté candidat·es : les connaissances, les compétences, les aptitudes, la volonté à faire les tâches et la personnalité 

Côté entreprise : la culture, le job, l’équipe et le manager

À ce titre, la motivation est une variable très fragile qui devrait être abordée avec la plus grande méfiance. Ce n’est pas parce que quelqu’un est très motivé qu’il fera une bonne recrue. Inversement, une personne peut être moyennement motivée en entretien et découvrir que c’était exactement le poste qui lui fallait. D’ailleurs, on dit “motivation” mais bien souvent ce qu’on observe c’est plutôt l’enthousiasme en entretien.

Or, cet enthousiasme n’est absolument pas prédictif de l’enthousiasme futur. Je dirais même qu’un enthousiasme trop fort est suspect car, au stade de l’entretien, la personne ne peut pas savoir exactement si la culture de l’entreprise est adaptée à sa personnalité. La désillusion risque d’être grande ensuite.

De même, le lien entre les hobbys et la performance relève de l’astrologie. Quand j’entends que la présence d’une activité de sport de haut niveau sur un CV indique que la personne va être persévérante et compétitive, je m’arrache les cheveux que je n’ai plus.

Quel est le rapport ? Quelle est la suite ? Les personnes qui font de la photo ont le sens du détail et donc je peux les embaucher en tant qu’ingénieures pour vérifier l’intégrité des fusées Ariane

Ça ne fonctionne pas parce que les contextes sont trop différents. Déjà que l’expérience dans un métier donné prédit très peu la performance… que penser d’une expérience dans un contexte si différent ? Combien de fois ai-je vu des personnes qui étaient douées dans leur métier mais qui ont été en situation d’échec en changeant d’entreprise ? 

Enfin, nous devons nous retenir de la tentation de l’effet bizutage. Ce que j’appelle l’effet bizutage c’est l’intériorisation de la galère comme étant une forme de justice. J’en ai bavé quand j’étais à sa place donc tout le monde doit en baver. Ou alors de mon temps, on faisait telle chose en entretien donc j’attends que les gens de maintenant en fasse autant.

Ce n’est pas parce que tu as vécu quelque chose qu’il faut le faire vivre aux autres : sinon on ne s’améliore jamais.

L’abus de pouvoir

Par ailleurs, il est vital de garder à l’esprit que la relation entre les recruteurs et les candidats est asymétrique. Certaines personnes sont même en état de vulnérabilité psychologique. Par conséquent, nous devons faire très attention à ne pas abuser de notre pouvoir. Or, ça arrive bien plus vite que ce que l’on pense.

Voilà pourquoi il est important de garder notre vigilance afin de ne pas favoriser les comportements reliés au désespoir. Quand j’entends c’est pas grave si mon site carrière demande plus de 18 clics pour postuler : ça triera les plus motivés ce que j’entends vraiment c’est que vous attirez surtout les personnes les plus désespérées.

La position d’asymétrie en entretien doit nous pousser à développer le plus possible notre sens de la compassion (au sens de compatir) afin de toujours garder une indulgence. C’est le sens de notre slogan : Candidat n’est pas un métier.

Nous avons en face de nous des personnes qui ne sont pas des professionnelles de l’entretien et qu’il faut donc traiter avec délicatesse car cette asymétrie peut créer de mini-traumatismes. Je ne compte pas le nombre de personnes dont la confiance a été brisée par les entretiens de recrutement. Parce qu’on les juge, parce qu’on ne leur fait pas de retour.

Ne confonds pas tes valeurs personelles avec celles de l’entreprise

Voilà la différence fondamentale entre juger et évaluer. Quand tu te fondes sur un décalage entre tes valeurs personnelles et celles de la personne en face, tu es dans le jugement. Quand tu essaies d’évaluer le décalage entre les valeurs de la personne et celles de l’entreprise, tu es dans l’évaluation. Parce que ça aura un impact direct sur son emploi.

Le fait que toi tu aimes les personnes affables, “dynamiques” et sociables ne doit pas influer sur ton évaluation. On ne te demande pas de trouver des potes, on te demande de trouver les bonnes personnes aux bons postes.

Le fait que toi tu aimes les personnes polies, attentionnées et qui nettoient spontanément leur tasse de café ne doit pas influer sur ton évaluation. On ne te demande pas de trouver des gens avec qui tu veux passer un bon moment, on te demande de trouver des gens avec qui l’équipe passera un bon moment professionnel.

Le fait que toi tu aimes les personnes qui boivent des coups, ne doit pas influer sur ton évaluation. On ne te demande pas de trouver des compagnons de soirée. Sauf si faire régulièrement des soirées est dans la culture de l’entreprise.

De manière générale, nous avons tendance à trouver du charisme aux personnes qui ont un haut quotient émotionnel, c’est-à-dire les personnes possédant une personnalité socialement désirable.

Je ne développe pas ce point car je l’ai déjà fait mais en résumé, les personnalités socialement désirables sont celles qui obtiennent un haut score sur les 4 premiers traits du Big 5 (ouverture, “discipline”/rigueur, extraversion, sympathie) et un score bas sur le dernier (sensibilité aux émotions négatives).

Nous avons tendance à avoir une meilleure opinion des personnes ayant ce cocktail de traits de personnalité. Mais ces personnes ne sont pas plus efficaces en poste : ça dépend du poste. 

Ne parlons même pas du problème des différences culturelles :

Lors d’un concours dans la fonction publique, un intervieweur a noté:«Le candidat est gêné et n’aime pas interagir avec les autres.» Le candidat, originaire d’un pays étranger, a porté sa cause devant un tribunal et a fait venir un expert sur les différences interculturelles. Ce fut un débat intéressant, mais qui aurait pu être évité si l’intervieweur n’avait pas inscrit ce jugement.

Il convient donc de s’astreindre à évaluer uniquement les traits de personnalités qui sont en jeu dans la culture d’entreprise. Par exemple, chez nous le trait de personnalité de l’ouverture aux expériences et à l’abstraction est un trait fondamental. Nous sommes un organisme de formation et l’éducation est au coeur de notre mission. Nous avons donc une culture orientée autour de l’apprentissage et, par conséquent, je vais évaluer ce trait en entretien. En revanche, nous avons des personnes extraverties et des personnes introverties. Ça dépend beaucoup du métier. Sans trop de surprise les personnes occupant le poste de commercial chez nous ont tendance à être plus extraverties que celles occupant le poste de développeur. Ce n’est donc pas un trait que nous allons évaluer.

Par conséquent, pendant l’entretien on doit faire abstraction de la différence de personnalité extraversion/introversion entre soi et la personne qui postule.

L’entretien n’est pas un rencard

Tu as peut-être déjà vécu le rencard dont l’énergie ressemble à celle d’un entretien. L’une des deux personnes est mal à l’aise et commence à poser des questions comme si elle voulait uniquement valider une liste de critères. C’est très désagréable.

De la même manière, l’entretien ne devrait pas avoir l’énergie d’un rencard. Pourtant c’est très souvent le cas : c’est un moment de drague professionnelle. Ce qui compte ce n’est alors plus la compétence mais bien la capacité à séduire la personne qui fait l’entretien.

Il est plutôt sain d’avoir une petite dose de séduction professionnelle mutuelle. De donner envie aux personnes de nous rejoindre et vice-versa. Mais ça doit rester une petite dose. Malheureusement, la plupart des entretiens au feeling sont hypersensibles, comme leur nom l’indique, à la séduction. Voire ne se repose quasiment que sur ça.

Sauf que les personnes les plus douées en séduction ne sont pas nécessairement les plus douées en poste. Même dans les métiers où on pourrait croire qu’ils sont très similaires. Combien de fois j’ai été séduit en entretien par une personne qui postulait au poste de commercial pour ensuite être déçu parce qu’elle n’arrivait pas à vendre chez nous…

Voilà pourquoi nous devons limiter au minimum nos interprétations. J’irai même jusqu’à dire qu’on devrait s’interdire d’interpréter quoi que ce soit. 

La plupart d’entre nous n’avons aucune formation en psychologie. Alors pourquoi nous prenons-nous pour des mentalistes ?

On ne peut pas s’empêcher de juger mais…

Ceci étant dit, je ne suis pas naïf : je sais pertinemment qu’il est impossible de s’empêcher de juger. Cependant, on peut apprendre à reconnaître le jugement et s’en détacher. De la même manière qu’on ne peut pas s’empêcher d’être en colère de temps en temps mais qu’on apprend à ne pas se laisser dominer par la colère.

Par exemple, je peux avoir du mal avec certaines personnalités et le conscientiser. Sans les pénaliser dans mon évaluation pour autant.

Imaginons que je trouve que le fait de fumer révèle un manque de discipline. C’est un jugement qui me regarde. Je peux en prendre conscience et en faire abstraction le plus possible dans l’entretien.

Surtout, en aucun cas, je ne vais chercher à légitimer mon jugement. C’est un des phénomènes les plus délétères que j’observe. Au lieu de dire nous avons un biais contre ce type de personnes on dit ces personnes méritent qu’on les pénalisent en entretien.

Imaginons que je trouve qu’une poignée de main ferme révèle une personnalité dynamique. Là encore, je dois identifier que c’est un jugement qui me regarde. J’en prends conscience, je fais abstraction le plus possible.

D’ailleurs, si je me sens mal à l’aise à partager ma pensée avec les candidats et les candidates c’est probablement qu’il s’agit d’un jugement. On se sent généralement beaucoup plus à l’aise quand on partage des faits sans interprétation ou alors qu’on cherche à évaluer une personnalité avec la conviction sincère qu’il n’existe pas de meilleure personnalité qu’une autre.

Si tu penses que les personnes diplomates sont de meilleures personnes que les personnes bourrues et que tu as le droit d’en faire un critère d’évaluation en entretien alors ça va se sentir. C’est là qu’on va commencer à te mentir.

Il faut être capable de dire je n’aime pas les personnes brutes de décoffrage mais ça n’est pas un critère lié à la culture.

Il faut pouvoir penser : le problème ce n’est pas si j’aime ou pas ces personnalité mais bien que ça n’est pas compatible avec notre culture. Ça ne remet absolument pas en question les compétences de la personne : dans une autre entreprise ça fonctionnera.

Tu auras alors moins de personnes tentées de te mentir.

Encore faut-il connaître ses critères

Bien entendu, tout ça demande d’avoir des critères préalablement définis. Donc de ne pas faire d’entretien au feeling. En effet, si tu ne sais pas ce que tu évalues tu auras l’instinct de revenir au feeling et donc au jugement.

C’est normal.

Heureusement, ça se corrige. Avec une méthodologie.

La méthode de l’entretien structuré, par exemple. Mais ce n’est pas mon sujet aujourd’hui. Si tu veux aller plus loin sur le sujet :

Mais, on peut prendre le temps de s’attarder sur une facette de la méthode : apprendre à distinguer les observations et les interprétations.

Fait ou interprétation ? Quelques exemples tirés du livre l’entrevue structurée 

Si je dis le candidat répond correctement à la question. Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?

Si tu as répondu “l’observation”, félicitations tu as répondu comme moi quand j’ai fait l’exercice pour la première fois. On est ensemble. Par contre… c’est la mauvaise réponse. Parce que le correctement est déjà un début de jugement. Qu’est-ce que ça veut dire correctement dans un entretien ?

Si je dis la candidate a obtenu son bac. Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?

Si tu as encore répondu “l’observation”, félicitations tu as répondu comme moi quand j’ai fait l’exercice pour la première fois. On est ensemble. Et cette fois, en plus, c’est la bonne réponse.

Si je dis le candidat est nerveux et manque d’assurance… Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?

Cette fois-ci, je suis encore dans l’interprétation. L’observation pourrait être le candidat avait la voix qui tremble et hésitait sur certaines réponses. L’interprétation semble alors légitime mais on a besoin de l’appuyer avec les faits observés.

Si je dis la candidate réfléchit avant de répondre. Suis-je dans l’interprétation ou l’observation ?

Ici on est toujours dans l’interprétation. L’observation pourrait être la candidate prenait quelques instants de silence avant de répondre. Sauf qu’on pourrait très bien interpréter ça comme de la nervosité ou comme l’envie de maîtriser ses propos.

De la même manière, dire le candidat répond franchement est une interprétation. On ne peut jamais savoir si quelqu’un est franc. Tout ce qu’on peut observer ce sont des indices.

Je te partage ces exemples pour te montrer à quel point l’interprétation se cache dans des choses qui ressemblent à des observations. Les exemples sont plus subtils. À la différence de ceux que j’ai pris au début qui sont plus grossiers. Ça montre tout le travail qu’on doit faire pour réussir à s’en tenir aux faits.

Une liste pense-bête pour savoir si je suis dans le jugement

Voici une liste non exhaustive que j’utilise pour savoir si je suis en train de produire un jugement ou une évaluation. Dix points qui sont des indices que je suis dans le jugement :

  1. Je ne peux pas partager ce que je pense à la personne en face
  • Ce n’est pas un indice infaillible mais ça reste un indice solide. Si je ne peux pas faire le feedback à la personne comme je le fais à mes collègues, il y a un souci.
  1. Les mots “ça ne se fait pas” ou une variante me viennent à l’esprit
  • L’entretien n’est pas le lieu pour s’affronter sur les bonnes manières. Surtout que le concept change énormément selon la culture, même régionale. Certains comportements banals à Paris seront vus comme très malpolis à Lille.
  1. Je me dis “elle pourrait faire un effort” ou une variante. Par exemple “quand même, avec le taux de chômage, comment ça se fait qu’elle ne lise pas mon site web”
  • Cette notion d’effort est souvent une forme légère d’abus de pouvoir. Je profite de ma position pour dire que je veux que les gens démontrent leur “motivation” mais en vrai c’est indirectement leur désespoir que je veux voir.
  1. Je suis dans le vocabulaire de l’infantilisation. Par exemple “les candidats sont des divas” (parce qu’on pense “enfants gâtés”)
  • Là encore, il s’agit d’une forme légère de l’abus de pouvoir. Je me vexe parce que je n’ai plus la position de puissance. En oubliant que, si j’étais à la place des personnes je ferais pareil. Les postes sur lesquels on dit qu’il y a des divas, sont ceux où il y a une pénurie. On a donc des candidats et des candidates qui ont davantage d’exigence. C’est bien normal et humain. Tout le monde en ferait de même. Mais ça nous vexe car on n’a pas l’habitude que le rapport de force soit équilibré, voire inversé.
  • J’ai même carrément entendu des recruteurs sur ce type de profils me dire qu’il fallait garder sa dignité. Je ne vais quand même pas relancer : ça veut dire que je m’abaisse. Alors qu’on parlait de faire une seule relance par email. Pas deux, pas trois : une seule.
  1. J’analyse des éléments qui sont non-verbaux. Au lieu de creuser directement avec la personne pour qu’elle verbalise ce que je crois observer avec mon talent de mentaliste.
  • Je ne peux pas le dire assez : le non-verbal est un élément bien trop complexe à prendre en compte. D’ailleurs ça mériterait un article à part entière : tirer des conclusions sur le non-verbal est un exercice qui ressemble plus à la grapholologie qu’à autre chose. Je suis toujours étonné de voir le nombre de personnes qui trouvent évident que la graphologie n’est pas pertinente mais qui, en revanche, utilisent ce qu’on appelle la synergologie (décoder le non-verbal) qui a pourtant été tout autant réfutée par la science.
  • Il faut faire le deuil de ce fantasme : nous ne sommes pas capables d’interpréter le non-verbal avec fiabilité. Sinon tous les jugements au tribunal seraient fiables.
  1. Je ressens une pointe de plaisir de supériorité morale
  • Si je ressens en moi un plaisir coupable de supériorité, je suis en train de juger et non pas d’évaluer. Quand on est dans l’évaluation simple, l’émotion est neutre. Ou alors c’est de la compassion, de l’empathie.
  1. Je me dis moi j’en ai bavé donc les autres aussi doivent en baver. Ou une variante.
  • Ce que j’ai appelé l’effet bizutage. C’est terrible car c’est un effet largement étudié : la rationalisation a posteriori. Nous vivons une injustice et, pour maintenir notre estime de nous-même, nous finissons par dire que ce n’était pas une injustice et que c’était légitime. J’ai vu tellement de camarades de classes outrés par le bizutage en première année d’école de commerce et qui, dès la seconde année, m’ont expliqué que finalement ça permettait d’évaluer la résistance au stress et que c’est important pour la suite…
  1. Je fais l’erreur fondamentale d’attribution.
  • L’erreur fondamentale d’attribution est un des biais les plus étudiés en sciences sociales. Il s’agit du fait de surestimer les causes internes au détriment des causes externes. Par exemple, on voit quelqu’un de stressé et on pense que la personne est de nature stressée plutôt que de se demander ce qui dans l’environnement est en train de la stresser.
  • Ou alors on voit des gens au chômage et on se dit qu’ils ne cherchent pas assez voire qu’ils sont fainéants plutôt que de nous demander s’il n’y a pas plutôt un chômage structurel de masse.
  1. J’ai eu besoin de dissimuler mes intentions pour piéger l’autre voire même carrément de me cacher physiquement pour l’observer à son insu
  • La meilleure manière d’évaluer quelqu’un est de lui faire savoir que c’est une évaluation. Déjà pour des raisons de confiance. Si vous évaluez quelqu’un par surprise vous entamez la confiance entre vous. C’est une très mauvaise manière de commencer une relation, sachant que la personne pourrait devenir votre collègue.
  • Ensuite, souvent on veut se cacher parce que précisément c’est un jugement moral qu’on porte et non une évaluation.
  1. J’utilise la notion de mérite ou une variante
  • Là encore une variation de l’abus léger de pouvoir. Nous ne sommes pas là pour dire qui mérite ou pas de travailler. Ce n’est pas à nous de dire si demander un salaire donné c’est mérité. Nous sommes là pour dire si ce salaire est possible ou non chez nous. La notion de mérite ne relève pas de notre champ d’expertise.

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Sources :

L’entrevue structurée

Le savoir-être professionnel existe-t-il ?

Je donne régulièrement des formations sur l’entretien structuré. Or, il y a une question qui revient régulièrement :

Comment évaluer le savoir-être des candidats en entretien ?

Il y a plusieurs présupposés derrière cette question. Notamment le fait qu’il faille évaluer différemment les compétences métier et les traits de personnalité. C’est un sujet à part entière qui mériterait un article entier. Mais ce que je veux fouiller ici c’est l’autre partie de la question : l’existence même du savoir-être. Car, je vais enfoncer une porte ouverte, pour évaluer quelque chose il faut savoir ce qu’est ce quelque chose.

Ces gens qui n’ont pas de savoir-être

Un des réflexes que j’ai développé grâce à mon professeur de philosophie de prépa c’est de toujours essayer de retourner les phrases. Par exemple si je lis qu’une entreprise a comme valeur “l’honnêteté”, je vais me demander mais qui peut bien se revendiquer de la malhonnêteté ?

C’est une bonne astuce pour jauger la profondeur d’un concept. Si personne ne peut se revendiquer de la malhonnêteté alors il est creux de se revendiquer de l’honnêteté. Or, ici, quand on retourne le concept de savoir-être, on tombe sur quelque chose d’assez effrayant.

S’il y a des gens qui ont du savoir-être ça veut dire qu’il y a des gens qui n’en ont pas ? 

Ça me paraît violent, non ? Qu’est-ce qu’une personne qui ne sait pas être ?

Même si on se place d’un point de vue strictement professionnel, j’ai du mal à bien comprendre où on veut en venir. Quand je pose la question, en formation, on me répond souvent sur les trois mêmes axes.

Le premier : l’impolitesse. Il y a des personnes qui manquent d’éducation. Là encore l’expression me glace le sang car je sais à quel point on part de là sans mauvaise intention et comment on peut arriver très rapidement à dire d’individus qui ont simplement une culture différente de la notre qu’ils manquent d’éducation. Comme s’il n’y avait qu’une éducation possible.

La deuxième axe qui revient : l’introversion. On ne me le dit pas comme ça, on me dit plutôt “on veut des personnes dynamiques”. C’est une notion tellement intégrée que les personnes qui candidatent ont tendance à la répéter. Dans les lettres de motivations, les candidat·es écrivent souvent“dynamique et motivé”. Mais qu’est-ce qu’une personne dynamique ? On pense souvent à quelqu’un qui a beaucoup d’énergie, d’enthousiasme. En d’autres termes, on pense à une personne extravertie.

Là encore, le propos est glissant. Doit-on refuser de recruter toutes les personnes introverties ? Sur certains postes, ça me semble évident. Mais sur d’autres c’est hors de propos. Je dirais même qu’il y a des postes où il vaut mieux être une personne introvertie.

Le troisième axe : le manque de rigueur. Là on me parle de personnes qui manquent de professionnalisme. Je pense que c’est le propos qui me pose le moins spontanément de problème. Mais quand même… qu’est-ce que le professionnalisme ? Chaque fois que je montre à des potes mes échanges avec mes collègues, on me dit “j’oserai jamais parler comme ça, c’est pas professionnel”.

Aussi, j’affirme que ce qu’on appelle le professionnalisme est totalement contextuel et dépend entièrement de la culture d’entreprise. Dans certaines entreprises, tutoyer au premier contact sera vu comme un manque de professionnalisme. Dans d’autres, ce sera la norme.

On le voit, le savoir-être est une notion floue. Ou alors carrément problématique quand on essaie de la préciser. Que veut-on donc vraiment dire quand on se demande comment évaluer le savoir-être ?

Je te rassure : je ne vais pas me contenter de dire le savoir-être n’existe pas et lâcher le micro comme si j’avais inventé l’eau tiède. 

En effet, je comprends très bien ce qu’on essaie de dire quand on utilise le concept flou. Je comprends qu’on utilise l’expression comme on dirait soft skills. Je comprends qu’on veut parler de la personnalité.

Le bon concept : la personnalité

Aujourd’hui quand j’écris personnalité ça ne choque pas. C’est un concept communément accepté. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Nous n’avons pas toujours été convaincus qu’il existait chez les humains des caractéristiques mentales qui persistaient sur le long terme. Le concept de personnalité a été découvert, en environ un siècle.

Tout commence en 1884 quand Sir Francis Galton (le cousin de Darwin) se dit qu’il doit être possible d’analyser les personnalités en se servant des mots des dictionnaires de plusieurs langues. L’idée c’était que plus un trait de personnalité était important pour une société humaine et plus elle aura de chances d’avoir un mot pour le décrire. En croisant les dictionnaires de plusieurs langues et en regardant les mots en commun, il devrait donc être possible d’avoir un bon inventaire de toutes les variations de personnalité.

Et là… Francis Galton il se dit qu’il a assez travaillé comme ça et il passe à autre chose.
En même temps, il avait d’autres chats à fouetter, notamment tout un champ de la psychologie à révolutionner. Mais c’est une autre histoire.

Il faut attendre un peu plus de 50 ans pour que deux autres scientifiques essaient cette idée, en 1936. Ils commencent avec une liste de 4 500 mots. 4 500 adjectifs qui décrivent des caractéristiques de personnalités.

Je te passe les détails historiques mais s’ensuivent encore 50 ans de travaux. L’idée étant de fusionner chaque mot jusqu’à ce qu’on ne puisse plus. De la même manière que la science sociale a réussi à trouver un facteur qui réunit tous les aspects de la cognition (mesuré par le QI), elle a essayé de trouver un facteur qui réunit tous les aspects de la personnalité. 

C’est-à-dire une variable unique qui serait avantageuse : une intelligence émotionnelle, mesurée par un QE.

Je te spoile : ça a été un échec. On n’a pas trouvé le QE.

Car, en fusionnant les mots qui se ressemblaient on s’est heurté à un mur. En effet, une fois arrivé à 5 traits (ou 6 selon les équipes), plus personne n’arrivait à fusionner les caractéristiques. Par exemple, on peut dire que la gentillesse, la politesse et la générosité appartiennent à la même famille. Mais on voit bien que l’ouverture au changement et l’amour de l’abstraction ne peuvent pas être de la même famille.

Plusieurs équipes sont tombés sur les mêmes 5 traits, sans se concerter. Et à chaque fois l’incapacité de continuer la fusion.

Alors que pour les aptitudes cognitives on arrive à trouver un lien de fusion entre capacité à s’exprimer, facilité à lire, capacité à s’orienter dans l’espace, etc. On appelle ce lien le facteur g. On pourrait aussi l’appeler intelligence(mais le problème c’est que c’est polémique car tout le monde ne définit pas l’intelligence de la même manière).

Tout ça pour dire qu’on n’a pas trouvé d’intelligence émotionnelle. En revanche, on a trouvé 5 grands blocs irréductibles. Les voici :

  • Ouverture 
  • Conscienciosité 
  • Extraversion
  • Agréabilité
  • Névrosisme

Ce sont les 5 grands traits de personnalité. On les appelle aussi le Big 5. Le consensus scientifique est très large autour du Big 5 (même s’il y a des débats pour introduire un sixième trait qui serait l’honnêteté-humilité un poil différent de l’agréabilité). 

Conséquence : les seuls tests de personnalité valides scientifiquement sont ceux qui s’appuient sur le Big 5. En ce sens, le MBTI n’est pas fondé scientifiquement. Idem pour le DISC. Je ne développe pas car il faudrait un article à part entière pour réfuter correctement ces derniers. Notamment expliquer pourquoi ce qui fait consensus dans la communauté scientifique ne fait pas consensus dans le monde de l’entreprise.

Mais que veulent dire ces traits ? Voici la définition de Wikipédia :

Ouverture : appréciation de l’art, de l’émotion, de l’aventure, des idées peu communes ou des idées nouvelles, curiosité et imagination ;


Conscienciosité : autodiscipline, respect des obligations, organisation plutôt que spontanéité ; orienté vers des buts ;


Extraversion : énergie, émotions positives, tendance à chercher la stimulation et la compagnie des autres ;


Agréabilité (amabilité) : une tendance à être compatissant et coopératif plutôt que soupçonneux et antagonique envers les autres ;


Neuroticisme ou névrosisme, contraire de stabilité émotionnelle : tendance à éprouver facilement des émotions désagréables comme la colère, l’inquiétude ou la dépression, vulnérabilité.

L’extraversion est le trait de personnalité le plus connu. Probablement que si tu connaissais un trait de cette liste c’était l’extraversion. Même si on a tendance à confondre l’extraversion avec le contraire de la timidité, ce qu’elle n’est pas exactement. Par exemple : je ne suis pas du tout timide mais j’ai une haute dose d’introversion. Pourquoi est-ce un trait si connu ? Parce que c’est le premier qui a été découvert quand on a fait le travail de fusion des adjectifs dont je t’ai parlé. On le connaissait même 20 ans avant le début de ce travail, via d’autres travaux.

Si tu connais le MBTI, c’est pour ça qu’il est présent dans le MBTI. Car le MBTI est parti dans une autre direction, en se basant sur les travaux de Jung. Or, c’est justement Jung qui a inventé le mot extraversion.

Du coup, extraversion est probablement également le mot qui te choque le moins parmi les 4 inventés. Conscienciosité, agréabilité, névrosisme, il faut bien admettre que ça sonne bizarre. C’est parce qu’il a fallu inventer des mots pour véhiculer correctement la nuance. Par exemple, l’agréabilité (qui est une tentative de traduction d’agreeableness) mélange à la fois le concept de l’amabilité mais aussi le fait de faire passer les besoins des autres avant les siens. C’est pour ça qu’on dit pas juste amabilité. Pareil, la conscienciosité ça ressemble à la rigueur, mais ce n’est pas que ça, c’est aussi la prudence et la capacité à ne pas abandonner. Dur de trouver un mot en français qui décrit déjà ce groupe de caractéristiques.

Qu’est-ce que l’intelligence émotionnelle ?

Voilà le concept qui ressemble le plus à ce qu’on veut dire quand on parle de savoir-être. Comme je te l’ai dit, la quête de l’intelligence émotionnelle est globalement un échec. Et c’est une excellente nouvelle.

Pourquoi ? J’y viens. Mais avant…

Quand on essaie de tout lier à un seul facteur on trouve bel et bien une forme de QE. Un haut quotient émotionnel est atteint par les personnes qui obtiennent un score élevé à tous les traits de personnalité sauf le dernier.

C’est-à-dire des personnes avec : 

  • une grande ouverture aux nouvelles expérience, 
  • une grande rigueur/persévérance/prudence, 
  • une grande extraversion, 
  • une grande amabilité/sympathie/capacité de conciliation,
  • et une petite instabilité émotionnelle.

Sauf que, contrairement au QI, on ne peut pas dire que, toutes choses égales par ailleurs, il vaille mieux avoir un grand QE qu’un petit QE. En effet, la personnalité que je viens de décrire est une personnalité socialement désirable, c’est vrai. Mais ça s’arrête là.

Il en ressort que l’intelligence émotionnelle est la capacité à se faire apprécier par les autres. Mais elle ne dit rien de l’efficacité au travail. C’est parfois même l’inverse. On observe par exemple que les individus avec une petite agréabilité ont tendance à mieux réussir professionnellement que les autres. Pourquoi ? Parce que les personnes les plus conciliantes sont aussi celles qui vont le moins négocier leur salaire et leur position.

On ne peut donc pas dire qu’il vaut mieux avoir une grande agréabilité : ça dépend des situations et des contextes. C’est vrai pour tous les traits : il n’existe pas de bonne ou de mauvaise personnalité.

Voilà pourquoi je disais que l’échec des sciences sociales à trouver un véritable quotient émotionnel est une bonne nouvelle. Ça veut dire que chaque personnalité a une valeur ajoutée dans le bon contexte.

On veut une adéquation entre la personnalité et notre culture d’entreprise

La question est donc quel est mon contexte ? Donc, à part si je cherche à recruter pour un métier où il faut savoir se faire socialement apprécier (un commercial par exemple), je ne vais pas nécessairement vouloir quelqu’un qui a une grande intelligence émotionnelle.

Au final, l’intelligence émotionnelle est le piège que l’on devrait éviter. Effectivement, les personnes avec une grande intelligence émotionnelle (donc extraverties, conciliantes, ouvertes, peu sensibles au stress et ponctuelles) feront spontanément une meilleure impression dans un entretien.

Mais est-ce cela que l’on recherche ? Des personnes douées en entretien ?

On devrait, au contraire, en permanence chercher à ne pas être aspiré·e par l’intelligence émotionnelle en entretien.

Voilà pourquoi je pense que ce n’est pas qu’une question de terminologie. Le concept du savoir-être véhicule des notions contre-productives pour le recrutement. Quand on parle de savoir-être ou d’intelligence émotionnelle, on invisibilise la notion d’adéquation.

Il n’existe pas de situation où savoir lire vite (qui est une composante de ce que mesure le QI) est un désavantage. Il vaut mieux savoir lire vite que savoir lire lentement, en toutes circonstances. C’est pour ça qu’on utilise le mot “intelligence” (avec tous ses défauts). Mais on pourrait dire, de manière moins polémique que c’est une “compétence”. En revanche, il existe des cas où il vaut mieux être une personne introvertie qu’extravertie. L’extraversion n’est donc pas une compétence. L’introversion non plus. Ce sont simplement des traits de personnalité.

Je le vois dans le métier même du recrutement. Souvent, les personnes très extraverties sont allergiques au sourcing. Ou plutôt l’inverse : les personnes allergiques au sourcing sont souvent très extraverties. Alors qu’une personne très introvertie aura du mal à faire des entretiens.

Attention, je généralise par souci de pédagogie. Il ne s’agit pas ici de faire de la psychologie de comptoir : il faudrait tester mon observation. C’est pas parce que je le vois que c’est vrai.

De même, on pourrait croire que la résistance au stress (l’inverse du névrosisme) est toujours un atout. Je peux attester que non. Je fais partie des personnes les plus résistantes au stress selon les tests. Et bien je vois en quoi ça me porte préjudice : je commande toujours mes billets de train et d’avion la veille, même pour des voyages prévus depuis des mois. Je ne pourrais pas travailler dans l’événementiel : je suis trop détendu. Bien entendu, c’est un avantage dans mon métier où je dois donner des conférences ou publier un article que tout le monde va lire.

Autre exemple : l’agréabilité. C’est un atout dans plein de situations mais ça sera un préjudice dans un métier comme celui d’acheteur. Une personne trop conciliante aura du mal à tenir la posture de négociation musclée que ça demande. Et, on l’a déjà dit, les personnes les plus conciliantes sont aussi les personnes les moins bien payées.

Ce qu’on veut c’est donc une adéquation entre les traits de personnalité et ma culture d’entreprise. Ce qui compte ce n’est pas d’avoir quelqu’un qui me fait passer un bon moment en entretien car il a une personnalité socialement désirable. Ce qui compte c’est de faire l’inventaire des traits qui sont directement liés à la performance, car inscrits dans notre culture.

Que je sois introverti n’est pas le problème des candidat·es. La question que je me pose en entretien c’est faut-il être une personne introvertie ou extravertie pour travailler chez LEDR ? La réponse est ni l’un ni l’autre. Donc je me fais violence pour ne pas tenir compte de ce trait pendant l’entretien culturel.

En revanche, on constate que les individus qui s’épanouissent chez nous sont du côté de la grande ouverture aux nouvelles expériences. Ça se comprend assez facilement puisque nous sommes un organisme de formation. On a donc une culture qui valorise l’abstraction, l’ouverture aux nouveaux concepts, etc. On va donc (dans notre cas très précis) ignorer l’extraversion mais prêter attention à l’ouverture.

On veut une adéquation entre la personnalité et le métier

Rebelote avec le métier. Il y a la culture de l’entreprise et la culture du métier. Par exemple, pour réussir chez LEDR il n’y a pas de modèle au niveau de l’extraversion/introversion. En revanche, les commerciaux et commerciales qui s’épanouissent chez nous sont toujours des personnes extraverties.

Ça vient de la culture du métier, de sa nature même.

Il faut donc concilier non seulement la culture de l’entreprise mais également celle de l’équipe et celle du métier.

On veut une adéquation entre la personnalité et l’équipe visée

Rerebelote avec l’équipe qui sera intégrée. Parfois j’entends mon critère c’est aussi est-ce que je pourrais prendre une bière avec la personne.

Je comprends ce qu’on veut dire par là. Mais le problème c’est que la personne ne rejoint pas l’équipe de recrutement, elle rejoint l’équipe du manager qui a mandaté le recrutement. Donc ce qui compte c’est que le candidat et le manager puissent prendre une bière ensemble. Et d’ailleurs, parfois ce n’est pas une bière. Cf ce qu’on a dit sur l’introversion. Accessoirement, tout le monde ne boit pas de la bière, ni même d’alcool.

Les critères excluants arrivent plus vite qu’on ne le pense, même dans des phrases anodines. C’est plus qu’un détail : je me suis souvent senti mal à l’aise dans des moments professionnels où on me poussait à consommer de l’alcool pour me socialiser. Alors que je veux en boire le moins possible dans ma vie.

Stop au mépris

Au final, l’expression de savoir-être est un brin méprisante. En effet, contrairement à l’intelligence, je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire qu’il manquait de savoir-être.

J’ai l’impression que les gens qui manquent de savoir-être sont toujours les autres. Ce qui fait que ces autres aussi pensent qu’on manque de savoir-être. Ça va toujours à double sens. Ça n’a donc aucun sens.

Mais maintenant tu comprends pourquoi : c’est parce qu’il n’y a pas de savoir-être, il n’y a que des adéquations de personnalité. Donc, si tu ne te sens pas en adéquation avec une personnalité, elle ne sentira pas en adéquation avec toi non plus. Aucun de vous deux n’est une personne supérieure : vos personnalités sont juste incompatibles.

Il n’y a pas une personne bête émotionnellement et une autre intelligente émotionnellement. Juste deux personnalités opposées.

L’accepter permet d’adopter une posture plus détendue en entretien. On a tout à y gagner. Le fait de penser sincèrement qu’il n’y a pas de personnalité supérieure à une autre va mettre les candidat·es plus à l’aise. Les gens le sentent quand vous pensez savoir-être. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles ils mentent en entretien.

On se plaint souvent des gens qui mentent en entretien mais on se pose trop peu la question de pourquoi ils mentent. Au final, dans le reste de leur vie, les gens mentent beaucoup moins. Alors pourquoi le font-ils autant sur leur CV ou en entretien ? 

J’ai plusieurs amies qui ont trafiqué leur fiches de paie pour obtenir un appartement. Pourquoi ? Parce qu’elles ne respectent pas le processus de décision. Si elles avaient confiance dans le processus elles ne le feraient pas. Elles sont intimement convaincues qu’elles sont capables de payer le loyer et que ce sont les critères qui sont stupides. Elles trichent parce qu’elles considèrent que le jeu est injuste.

Par exemple, je connais quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent mais en freelance. Elle n’avait donc pas de fiche de paie à présenter et on lui refusait des appartements car il fallait trois bilans comptables. Elle a alors décidé de trafiquer une fiche de paie.

Des exemples comme ça, j’en ai à foison. Et à chaque fois c’est la même raison de fond : la personne trouve le processus injuste.

C’est pareil avec le recrutement. Si tu demandes aux gens quels sont leur trois défauts et que tu penses qu’il y a un savoir-être, des défauts humainement pire que d’autres (et donc une bonne réponse à la question), ils vont le sentir. Ils vont trouver ça injuste car ce n’est pas lié avec leur performance dans le job. Ils vont donc te mentir.

Si tu crois fondamentalement que le savoir-être n’existe pas et que tu cherches à évaluer l’adéquation entre la personnalité du candidat et la culture de l’entreprise, le candidat aura tout de suite moins de raisons de mentir. En effet, il sentira qu’on ne remet pas en question ce qu’il est en tant qu’humain.

Sous-entendre à quelqu’un qu’il serait dépossédé d’un truc qui s’appelle le savoir-être et qui fait de meilleurs humains professionnels, c’est violent. Dans ce cas on remet en question la personne en tant qu’humain, dans l’absolu. Ce n’est pas pareil que de lui sous-entendre qu’il y a des personnalités qui s’entendent bien professionnellement et d’autres non. Dans ce cas, un refus en entretien ne dit rien de sa valeur humaine absolue. 

Pense vraiment qualité des défauts et défauts des qualité

C’est devenu cliché tellement on répète ce conseil en recherche d’emploi. On dit aux candidat·es de préparer les qualités de leurs défauts pour l’entretien.

C’est toujours fait de manière superficielle car le but est de contourner la question superficielle des 3 défauts. Mais ne pouvons-nous pas le repenser de manière plus profonde ?

De comprendre qu’une grande introversion ce n’est ni un défaut, ni une qualité. Encore moins une compétence. L’introversion vient avec des inconvénients dans certains contextes : la timidité quand on doit réseauter, par exemple. Mais elle vient aussi avec des avantages dans d’autres : j’étais bien content d’avoir suffisamment d’introversion pour vivre confortablement le confinement par exemple.

Bien sûr qu’une haute conscienciosité vient avec des avantages : la rigueur, par exemple. Mais ça peut aussi se transformer en inconvénient quand il s’agit d’être capable d’abandonner une idée qui ne fonctionne pas.

Certes, une ouverture aux nouvelles expérience et à l’abstraction apporte son lot d’avantages. Pour enseigner il vaut mieux aimer l’abstraction. Mais ça vient aussi avec un lot d’inconvénients : certains métiers demandent d’appliquer une méthode sans chercher à trouver d’autres moyens.

L’agréabilité est un des traits sur lequel je fais le plus petit score : j’ai tendance à faire passer mes intérêts en premier. Et je suis plutôt impoli. Parfois ça me porte préjudice : on a perdu des clients parce que je n’ai pas su me retenir de dire brutalement ce que je pensais. Mais parfois ça tourne à mon avantage : parce que je ne me retiens pas de dire ce que je pense et que ça débloque des situations.

Le Névrosisme vient avec des inconvénients évidents : être davantage soumis aux émotions négatives et au stress. Mais parmi les gens qui m’ont le plus impressionné professionnellement dans ma vie, il y a une personne qui a probablement un haut score de névrosisme. C’est justement ce qui lui permet de performer dans un métier d’événementiel où il faut prévoir tous les imprévus et délivrer des prestations où la préparation de plusieurs mois se joue sur une seule journée. À l’inverse, être moins sensible aux émotions négatives m’a souvent permis d’être le point de repère d’un groupe dans des moments de crise ou de panique.

Au risque de me répéter : il n’y a pas de savoir-être, au sens où il n’y a pas de compétences de personnalité, il n’y a pas de soft skills. Un trait de personnalité peut être un avantage dans un contexte et un inconvénients dans un autre.

Alors que si c’était des skills, des compétences, ça devrait être neutre ou positif. Par exemple, maîtriser Excel est une compétence. Ce n’est jamais un inconvénient. Au pire, ça ne sert à rien dans un métier.

Mais ça ne peut pas avoir d’incidence négative. Parce que justement c’est une compétence.

La personnalité ne se divise donc pas en compétence mais bien en traits de personnalité.

Il faut d’abord l’avoir en tête avant d’essayer d’évaluer une personnalité pour voir si elle est en adéquation avec notre culture. Une fois qu’on est solide là-dessus, on peut commencer à se demander non pas comment évaluer le savoir-être mais bien comment évaluer la triple adéquation entre une personnalité et notre culture d’entreprise, celle du métier et celle de l’équipe. Mais c’est encore un autre sujet …

Tu veux faire le big 5 sur toi même, voici un lien rapide qui propose un test en 30 questions et un débrief détaillé (seul défaut : c’est en anglais).

Pourquoi y’a-t-il tant de discriminations dans le recrutement ?

Je n’étonnerais pas beaucoup de monde en disant que le recrutement est particulièrement touché par la discrimination. C’est suffisamment prégnant pour que ça devienne un stéréotype des discussions sur le sujet. Dans les médias on a même consacré le terme “discriminations à l’embauche”.

Je ne vais donc pas te faire un récapitulatif des discriminations dans le recrutement. On va partir du principe que le fait est admis. 

On a régulièrement des opérations de testing (où on envoie par exemple à deux moments différents le même CV avec un prénom différent pour voir si l’entreprise appelle davantage quand le prénom sonne français ou pas). On a des milliers de témoignages sur les réseaux sociaux, dans les médias.

Ce ne sera pas mon sujet. Mon sujet ne sera pas décrire l’ampleur de la discrimination dans le recrutement, mais bien de comprendre la racine du problème. Je vais te partager les résultats de mon enquête personnelle.

Le parallèle avec la discrimination au logement

Le recrutement a une longue tradition de comparaison avec l’immobilier. On le voit avec le modèle économique des cabinets qui a repris le vocabulaire : les fees, les commissions en pourcentage du prix du bien, etc.

Pendant une formation, je filais donc la métaphore en expliquant l’inspiration que je trouvais dans l’émission Recherche appartement ou maison avec Stéphane Plazza. Je ne sais plus comment mais on s’est retrouvé à parler de ma propre recherche d’appartement. Je venais de déménager. 

J’ai alors partagé mon expérience : une agence m’a avoué que le fait que mon garant (mon père) soit en Guadeloupe était un frein. Ce n’était pas la première fois, quand j’étais étudiant et que je cherchais un appartement on m’avait raccroché au nez :

– Votre garant est français ?- Oui, mon père est en Guadeloupe
[Bruit de téléphone raccroché au nez]

Cette fois, je sentais bien que l’agent immobilier était gêné, j’ai alors creusé un peu. Il m’a dit que que ce n’étais pas sa faute, que si ça ne tenait qu’à lui … mais que certains de ses clients allaient tiquer.

Ça ne te rappelle rien ? Combien de recruteurs et de recruteuses en cabinet se retrouvent dans ce dilemme face à un client ?

Il m’a alors demandé si je pouvais avoir un autre garant. J’ai répondu que je n’avais personne de ma famille qui gagnait suffisamment et qui vivait dans l’hexagone. Un peu désespéré je lui demande si ce serait mieux avec une collègue. Soulagé, il m’a répondu que oui, ce serait bien mieux. J’étais surpris parce que, pour moi, le concept du garant c’est justement de mettre quelqu’un de sa famille qui sera forcément plus solidaire. Ma collègue peut arrêter d’être ma collègue, mon père n’arrêtera pas d’être mon père. Mais bon…

Voilà comment je me suis retrouvé dans la situation humiliante d’être un adulte qui demande à sa patronne d’être sa garante. Elle a immédiatement accepté.

Et au passage encore infiniment merci, Marion…

Des histoires comme ça, nous sommes énormément à les vivre. Que ce soit dans l’immobilier ou le recrutement.

Mais, du coup, la question que je me suis posé c’est : pourquoi. Qu’est-ce que ces secteurs ont de si spécial ? Pourquoi ce sont souvent les deux moments où le plus de personnes autour de moi ont des histoires de discrimination à raconter ? Pourquoi moi aussi, comme par hasard, c’est quand je cherche un appartement que je suis le plus ouvertement confronté à la discrimination ? Sachant que je n’ai pas été beaucoup candidat dans ma vie : ma seule expérience professionnelle en CDI c’est à LEDR. Sinon je ne doute pas que j’aurais eu aussi des histoires à raconter de quand je postulais.

Hypothèse #1 : le recrutement et l’immobilier attirent beaucoup de personnes malveillantes

Chaque fois que je pose la question c’est la réponse la plus commune, la plus naturelle de la salle. On se dit que s’il y a quelque chose de particulier en sortie c’est qu’il y a quelque chose de particulier en entrée. Logique.

En effet, on peut se dire que ce sont des situations avec impunité : en effet, il est très compliqué de prouver la discrimination à l’embauche. On peut toujours dire j’ai pris quelqu’un d’autre sans justifier plus que ça ou carrément en mentant.

Sans compter que c’est un domaine où on a le pouvoir. Or, qui dit pouvoir dit abus potentiels. Pourquoi observons-nous autant de corruption dans la politique ? Parce que les personnes ont du pouvoir dont elles peuvent abuser en quasi impunité.

Dis tonton Aurél’, tu pourrais nous raconter une histoire ? Okay, ça s’appelle « Gros poisson dans une petite mare  » Ça parle des gens qui s’donnent trop d’importance

L’effet gros poisson dans une petite mare est courant : donnez un peu de pouvoir à quelqu’un et il aura tendance à en abuser.

Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument 

On peut même pousser le vice plus loin en se disant que ces secteurs attirent des personnes qui aiment abuser d’un petit pouvoir. C’est un cercle vicieux : tout le monde sait qu’on peut y pratiquer la discrimination alors forcément, les personnes que ça attire… 

Un peu le même problème que dans la Police (qui est d’ailleurs un des autres secteurs où on a conscience des enjeux de discrimination) : on a forcément une partie des personnes qui viennent faire ce métier pour pouvoir donner libre cours à leur racisme. Là encore, je ne développe pas, les témoignages sont nombreux.

Sauf que… comme beaucoup d’hypothèses intuitive, je pense qu’elle est incomplète. En tout cas dans le recrutement. Déjà parce que ça me semble un peu gros et ensuite parce que ça relève selon moi de ce qu’on appelle en psychologie l’erreur fondamentale d’attribution. C’est-à-dire qu’on a tendance à surestimer les causes internes au détriment du contexte.

Ce n’est pas parce qu’on observe un taux de discrimination plus fort dans le recrutement et l’immobilier que ça veut dire qu’il est effectivement plus fort. Peut-être qu’il est simplement plus facile à observer ?

Hypothèse #2 : c’est juste plus facilement observable dans le recrutement et l’immobilier

Et si, en réalité, il y avait de la discrimination partout, à la même intensité, mais que ça serait juste plus visible dans certains secteurs ?

Après tout, si j’étais vendeur dans une boutique, je ne me rendrais pas compte de la discrimination opérée par les clients envers moi. Si un client refuse de me parler, il ira voir un autre vendeur. Je ne le saurai jamais. Ou en tout cas beaucoup plus rarement.

Pareil, quand je passe par Airbnb pour louer un appartement de manière ponctuelle, je n’ai jamais vraiment de contact avec le propriétaire. Surtout maintenant qu’on a inventé les boîtes à clé et qu’on peut donc faire sans jamais voir la personne. J’étais en formation à Lyon vendredi dernier, j’ai dormi dans un airbnb : à aucun moment je n’ai vu à quoi ressemblait la propriétaire, et vice-versa.

Il en va de même dans le reste du monde de l’entreprise : une fois qu’on est embauché, les discriminations sont plus subtiles car c’est beaucoup plus dur à assumer.

Cette hypothèse me semble déjà un peu plus solide mais je reste sceptique : l’intensité de ce qu’on observe dans le recrutement et l’immobilier me semble bien trop forte pour ne s’expliquer que comme ça.

Continuons donc l’enquête.

Hypothèse #3 : quand on doit faire un choix humain on le fait avec des biais inconscients

L’autre piste est connue : les biais cognitifs. Les biais sont à notre raisonnement ce que les illusions d’optique sont à notre vue. Ce sont des erreurs systématiques et inconscientes, mais surtout dures à corriger.

L’illusion de Müller-Lyer est archi-connue. Pourtant, même si ton cerveau la connaît, il tombe dedans :

Les deux traits font la même taille, tu le sais. Mais rien n’y fait : tu vois deux tailles différentes. Il en va de même avec les biais. 

Par exemple, le biais de sympathie est le biais qui fait que plus quelqu’un te ressemble (que ce soit en apparence ou en personnalité) plus tu vas avoir tendance à lui pardonner ses défauts et à amplifier ses qualités. Le savoir ne change rien : tu continueras à avoir ce sentiment qui fait qu’on donne plus spontanément de l’argent dans la rue à quelqu’un qui nous ressemble physiquement.

Le biais d’ancrage est le mécanisme qui explique que la première impression pèse de manière disproportionnée dans un jugement. On le sait. Pourtant, la plupart des personnes qui recrutent vont garder le jugement de leur première impression. Ce n’est ni volontaire, ni conscient : on a une première impression et ensuite notre cerveau construit les raisons pour l’appuyer. Tout en nous faisant croire qu’on a fait l’inverse : on a construit un raisonnement qui nous a mené à la conclusion. Mais non : on avait déjà la conclusion et on a construit le raisonnement.

Le biais de confirmation est le mécanisme qui explique que si je suis convaincu d’une chose, j’aurai tendance à ne prendre que les infos qui vont dans le sens de mon interprétation. Ou alors à interpréter dans le sens qui va avec ma vision du monde.

On voit ce que l’on croit, non pas l’inverse

Lors d’une conférence du SOSU (le sommet du sourcing) un intervenant avait pris cette phrase :

80% des personnes espagnoles récemment diplômées ont leur première expérience professionnelle à l’étranger.

Il nous avait alors demandé de l’interpréter. Selon la vision qu’on a de l’Espagne on peut dire : l’Espagne a tellement été ravagée par la crise de 2008 que les jeunes s’en vont après leurs études, il n’y a pas assez d’opportunités. 

Mais on peut aussi dire : les espagnols sont tellement ouverts d’esprit et appréciés à l’étranger que…

Alors qu’on partait de la même donnée.

La combinaison du biais d’ancrage et du biais de confirmation s’appelle l’effet de halo.

L’effet de halo, effet de notoriété ou encore effet de contamination, est un biais cognitif qui affecte la perception des gens ou de marques. C’est une interprétation et une perception sélective d’informations allant dans le sens d’une première impression(« il ne voit que ce qu’il veut bien voir »). 

Et… Wikipédia suggère explicitement que ce biais est potentiellement impliqué dans le racisme :

Cet effet pourrait par exemple avoir un rôle dans des phénomènes comme le racisme. Margaret Clifford et Elaine Walster ont pu montrer, en 1973, que des enfants étaient jugés plus intelligents que d’autres par leurs enseignants sur la base de leur attrait physique

Il semblerait donc que ce soit une bonne piste. Le pire avec les biais ? On l’a dit plus haut : les connaître ne suffit pas à les combattre. Car, malheureusement, un de nos biais s’appelle la tâche aveugle à l’égard des préjugés. C’est le biais qui fait qu’on ne voit pas nos biais.

Voilà pourquoi cette hypothèse me paraît plus solide et plus explicative que les précédentes. Ça explique notamment comment, même quand on veut faire bien on peut discriminer. Ça explique pourquoi il y a tant de discrimination inconsciente.

On parle souvent des discriminations conscientes car ce sont les pires. Quand un propriétaire ou un manager dit explicitement “je veux des français de souche” ou “je ne veux pas de femme à ce poste”.

Mais on oublie que la plupart des discriminations s’opèrent de manière inconsciente via des personnes de bonne intention.

C’est d’ailleurs tout le sujet du livre Blindspot : the hidden biases of good people.

Mais… tu dois te dire que je t’ai fait perdre ton temps. Tout ça pour ça ? Juste pour dire que c’est à cause des biais ?

Non, je te rassure : ce n’est pas la fin de mon enquête. Je vais te proposer une quatrième voie d’explication.

Quel est le point commun entre l’embauche et l’accès au logement ?

Voilà comment cette dernière hypothèse m’est venue : je me suis demandé quel était le point commun entre les deux situations. J’avais quand même l’impression que les deux secteurs avaient une particularité. J’étais également intrigué que la similarité des deux disciplines aille jusque là.
Il doit forcément y avoir un point commun qui déclenche ces situations ?

L’hypothèse de l’abus de pouvoir, on l’a vu, me semble trop courte. C’est vrai que c’est une condition nécessaire : on discrimine parce qu’on peut se le permettre. Que ce soit dans le recrutement ou le logement parisien, il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande. Il y a tellement de personnes qui cherchent un appartement à Paris que chaque offre d’appartement déclenche des dizaines de candidature. Idem dans le recrutement (excepté sur certains postes).

Cette configuration me semble nécessaire. Il me semble bien que quand on recrute pour des postes en pénurie, on a beaucoup moins de discrimination, car les employeurs n’ont pas ce “luxe”.

Pour autant, cette configuration ne me semble pas suffisante. En effet, il y a plein de situations asymétriques où on n’exerce pas autant de discrimination pour autant. Quand une console ou un téléphone est en pénurie on ne favorise pas les clients blancs. C’est premier arrivé, premier servi.

Le recrutement et l’immobilier partagent une deuxième caractéristique.

Laquelle ?

Mettons fin au suspense, cette caractéristique c’est l’incapacité de garantir qu’on fait le bon choix sur le long terme.

Je m’explique : admettons pour les besoin de la démonstration que les boules de cristal existent. Je suis donc en possession d’un outil fiable qui permet de lire l’avenir. Admettons que tout le monde le sache, tout le monde y croit. Personne n’a aucun doute sur la fiabilité des boules de cristal. 

Je suis convaincu que si j’arrivais devant une agence, que je montrais dans la boule de cristal que j’allais bien payer tous mes loyers en temps et en heure pendant 5, 10, 15 ans et que je rendrai l’appartement dans un état nickel… la discrimination s’effondrerait.

La plupart des gens me diraient okay, même s’ils ont des préjugés. Car ils auraient la preuve que leur préjugé ne prédit pas l’avenir dans ce cas.

D’ailleurs, n’est-ce pas pour ça qu’on vit moins de discrimination sur Airbnb ? Parce que les gens ont la garantie que la plateforme va les indemniser en cas de problème. 

Idem dans le recrutement : si on avait une boule de cristal qui démontrait quelle personne performerait le mieux à un poste, ce serait également la fin d’une grande partie de la discrimination. Elle diminuerait car elle aurait moins de raison d’être.

Peut-être que tu continues à te dire que je t’ai fait perdre ton temps puisque les boules de cristal n’existent pas. 

C’est vrai. Mais il ne faut pas négliger ce qu’apporte l’identification de la solution rêvée. Car, nous allons désormais nous demander comment nous approcher de la boule de cristal.

Hypothèse #4 : l’absence d’une méthode fiable

Les boules de cristal n’existent pas. Même la NASA ne peut pas dire avec 100% de fiabilité si sa fusée va effectivement décoller sans souci. En revanche, elle a une méthode qui peut le dire avec une fiabilité de, disons, 98%. La météo ne nous prédit pas le temps à 100% de fiabilité mais c’est suffisamment fiable pour lui faire confiance quand on s’habille.

De la même manière, nous n’avons rien qui fonctionne à 100% contre le coronavirus. Tout ce qu’on a ce sont des stratégies qui fonctionnent très bien, mais jamais parfaitement. 

Les problèmes arrivent quand on n’a pas de méthode fiable ou qu’on ne croit pas en la fiabilité de la méthode. D’ailleurs c’est le cas avec le vaccin contre le coronavirus : les personnes qui ne croient pas en sa fiabilité déclenchent leur instinct et ça peut donner des choses assez étonnantes.

Idem quand on n’avait pas de météorologie : on faisait des danses de la pluie, on avait des personnes qui prétendaient pouvoir prédire le mauvais temps avec leur arthrite, et ainsi de suite… 

La méthode c’est ce qui permet d’aller contre l’instinct. Mais quand on n’a pas de méthode à laquelle on se fie… l’instinct revient immédiatement. Chassez l’instinct et il revient au galop.

Or, l’instinct est biaisé. Ce n’est même pas un bug : c’est sa fonction première. L’intuition est un raccourci cognitif qui nous aide à prendre des décisions rapidement en l’absence d’information. C’est un outil formidable. 

En effet, sans l’intuition, on verrait un jour une panthère tachetée attaquer un camarade… puis le lendemain on croiserait une panthère noire et on dirait : rien ne permet de conclure qu’une panthère noire est aussi agressive. Si ça se trouve ce n’est même pas le même animal.

L’intuition fait fonctionner ses mécanismes et le biais de la généralisation hâtive est ici une force : il nous pousse à nous cacher plutôt que de tenter de caresser l’animal.

Notre instinct a donc cet incroyable atout d’être une protection contre les dangers. Il va plus vite que le raisonnement conscient et heureusement. Car il est des situations où il vaut mieux courir parce que tout le monde court, sans comprendre pourquoi.

Quand on doit faire un choix important : embaucher quelqu’un ou lui louer un logement, notre instinct démarre donc sur les chapeaux de roue. Après tout, c’est son rôle.

Là, il y a deux options : soit j’ai une méthode rationnelle à laquelle je me fie, soit j’en ai pas. Or, dans l’immense majorité des cas, la personne qui prend la décision n’a pas une telle méthode.

Quelle méthode utiliser ?

Bien sûr, il n’existe aucune méthode fiable à 100% pour évaluer une personne que l’on veut recruter. Mais en revanche, on sait que l’instinct est très peu fiable. On sait également qu’il existe des méthodes d’évaluation beaucoup plus solides. On a le recul d’un siècle de travaux des sciences sociales à ce sujet. 

L’une d’entre elles c’est l’entretien structuré. Mais, même sans déployer une méthode aussi exigeante, on peut déjà adopter quelques réflexes. Premièrement, en explicitant le flou. L’instinct adore le flou. Si je dis à quelqu’un je veux une personne dynamique à ce poste. Ça peut vouloir dire tellement de choses…

On va donc demander une description plus fouillée de ce qu’on entend par une personne dynamique.

Décrire de manière plus fouillée et précise va nous permettre de mettre en lumière les instincts discriminants. Parfois, demander à l’autre d’être plus précis va suffire à lui faire se rendre compte du problème. Par exemple si un manager me dit je ne veux pas une personne qui a des enfants. Je peux lui demander pourquoi, creuser davantage, et me rendre compte qu’au final le vrai critère c’est plutôt la capacité à rester tard le soir une fois par semaine. Ce n’est plus du tout pareil. Le Diable est dans le flou.

De même, inciter les personnes à être plus précises que je ne sens pas cette personne va nous être d’une grande aide. Quand la plupart des retours d’entretien se résument à je la sens bien et je la sens pas on a un énorme souci. C’est dans ce flou que va se cacher la discrimination. Car, le biais de sympathie fait qu’on a tendance à mieux sentir les gens qui nous ressemblent ou alors les gendres idéaux. 

On l’a d’ailleurs vu quand on parlait d’intelligence émotionnelle : ce qu’on appelle intelligence émotionnelle est un ensemble de traits de personnalité qui composent les personnalités socialement désirables. Ce qui veut dire que, instinctivement, nous avons tendance à trouver sympathiques les personnes extraverties et polies par exemple.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les plus grands escrocs sont extravertis et polis. Chaque fois qu’on interroge leur voisinage, les gens disent : je ne comprends pas, il était super souriant, un bon voisin. Bah oui… forcément. Le concept même d’escroc c’est de savoir comment adopter une personnalité socialement désirable.  L’escroc connaît nos biais, notre instinct, et il appuie dessus.

Pour revenir à nos moutons : on a le même souci en recrutement. En entretien il y a des personnes qui vont faire montre d’une personnalité socialement désirable. On aura tendance à intuitivement vouloir les recruter davantage.

D’ailleurs, l’appartement depuis lequel je t’écris, je l’ai eu en “draguant” l’agent immobilier. J’ai appuyé à fond sur ce biais. On a parlé de tout et de rien, de son métier de ce que le confinement avait changé pour lui, etc.

Sauf qu’on ne devrait pas chercher des gens qui nous semblent sympathiques en situation d’entretien, on devrait chercher des gens qui nous semblent aptes à occuper le poste avec brio. Car, au jeu de la personnalité socialement désirable, ce sera toujours le gendre idéal qui gagnera. Ce seront toujours les personnes minorées qui perdront.

L’autre arme qu’on peut utiliser c’est le fait d’être plusieurs à décider. En effet, nous avons tous des biais, nous avons toutes les mêmes, mais pas dans les mêmes proportions. Nous avons des cocktails différents. Par conséquent, en croisant les avis, on peut supprimer une partie des biais. Impliquer 2 à 4 personnes dans l’évaluation va diviser les biais d’autant, pour peu qu’on ne s’influence pas trop les uns, les unes, les autres.

L’importance de l’entretien structuré

Voilà pourquoi je mets tant d’énergie à promouvoir la méthode de l’entretien structuré. Non pas parce que c’est la seule méthode fiable d’évaluation. Mais parce que c’est la méthode qui est la plus facilement déployable sans outil supplémentaire. Alors que, par exemple, pour faire un test de personnalité un minimum fiable, il faut un outil.

Peu importe la méthode, l’important est de perfectionner la sienne. Mais on ne peut pas se contenter d’évaluer sans méthode. Car, c’est ce qui laisse la porte ouverte aux discriminations. D’ailleurs, ça marche dans tous les sens. Même si ce n’est pas toi qui discrimines, comment répondre à un client, à un manager qui propose un critère discriminant si on n’est pas capable de lui offrir une méthode fiable ?

Se contenter de lui rappeler que c’est illégal rate l’objectif : en le prenant la main dans le sac tu vas l’inciter à être plus subtil et à déguiser ses décisions discriminantes. Tant que tu ne l’auras pas convaincu qu’il existe une méthode plus efficace, il continuera à utiliser son instinct.

On en revient à ce que je disais sur l’erreur fondamentale d’attribution : son comportement est contextuel. Je ne nie pas qu’il existe des personnes malveillantes. Mais beaucoup de personnes sont simplement convaincues de faire au mieux. 

On ne peut pas se contenter de dire à quelqu’un tu ne peux pas empêcher les gens qui ont un enfant de rejoindre ce poste. Car, si le manager n’est pas convaincu il va juste te contourner la prochaine fois. Il faut, d’une manière ou d’une autre le convaincre qu’il existe une meilleure méthode. Pour ce faire, il faut accepter d’évaluer sa méthode, de parler son langage dans un premier temps. Il faut accepter de dire qu’effectivement il y a une corrélation entre le fait d’avoir un enfant et le fait d’être flexible sur les horaires. Mais une corrélation n’est pas une causalité. Plutôt que de contredire frontalement son intuition on peut donc creuser et se rendre compte que c’est la flexibilité le vrai critère, peu importe le reste.

Mais pour le faire, il faut pouvoir être en mesure d’évaluer correctement ce critère. Si je ne peux pas montrer au manager comment il peut l’évaluer simplement, il continuera à utiliser son critère discriminant.

En d’autres termes : il faut une méthode pour remplacer les mauvais critères par des critères directement liés à l’emploi.

Il faut quelque chose pour appuyer notre refus des critères discriminant, sinon on perdra toujours la bataille argumentative. Ce quelque chose ça peut être la méthode de l’entretien structuré, ça peut être autre chose. Mais ça ne peut pas être “rien”. Notre responsabilité est bien trop importante.

Pour conclure, tu veux te former à la non-discrimination ?

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Comment féminiser ses annonces ?

Avec ou sans point médian

Tu as probablement déjà entendu l’énigme qui va suivre.

Elle faisait fureur dans les cours de récréation quand j’étais enfant. Je crois que la première fois que je l’ai lue c’était dans un Astrapi ou dans un Journal de Mickey.

La voici :

Un père et son fils ont un grave accident de voiture. Le père meurt. Le fils est entre la vie et la mort. On l’amène aux urgences et le chirurgien qui le voit dit : « Je ne peux pas l’opérer car c’est mon fils. » 

Comment cela se fait-il ?

Si tu ne l’as jamais entendue, prends quelques secondes pour y réfléchir avant de lire les phrases d’après.

La première fois que je l’ai lue, je suis resté 15 minutes sans trouver la réponse. J’ai dû regarder.

La réponse c’est que le chirurgien en question est la mère.

Vu le titre de l’article, peut-être que tu y as spontanément pensé. Mais, généralement, les gens n’y pensent pas.

Comment ça se fait ?

Il y a plein de variables qui l’expliquent. Une d’entre elles étant l’absence d’un genre neutre en français, contrairement au latin ou d’autres langues européennes. Du coup, quand on utilise le genre masculin comme un genre neutre, notre esprit a du mal à le détacher de ce qu’il est habituellement : un genre masculin.

Une autre raison est la relative récence du masculin comme neutre. Ça fait longtemps et pas longtemps à la fois que c’est le cas. On parle souvent du français comme étant la langue de Molière. Et bien à l’époque de Molière ça n’était pas encore le cas, par exemple. D’ailleurs, anecdote marrante et inutile, Molière écrivait “ortografe” et non “orthographe”. 

La masculinisation des textes fut, elle aussi, un projet politique à une époque où plusieurs formes féminines étaient couramment utilisées, comme peintresse ou philosophesse, et où l’accord de l’adjectif et du verbe se faisait avec le nom ou le sujet pertinent le plus proche, qu’il soit féminin ou masculin.

C’est avec la création de l’Académie française, au 17e siècle, que sera instaurée la règle du masculin générique, puisque, selon les académiciens, « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle »

Cette règle d’accord des adjectifs, décrite dans le passage que je viens de citer s’appelle l’accord de proximité.

C’est-à-dire qu’on accorde l’adjectif avec le nom le plus proche, plutôt que forcément le nom masculin. Cette règle était encore en vigueur quand on a rédigé la  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et on peut la retrouver à l’article IV.

Napoléon, lui-même, a affirmé que c’est la règle de proximité qu’on devait continuer à utiliser.

Napoléon (et ses contemporains) aurait donc écrit : “Julien, Jean, Nicolas et Mélanie sont de bonnes élèves”

Ça fait donc longtemps mais pas si longtemps que ça que le masculin est utilisé comme un neutre. Ou, pour le dire avec une formule horrible qu’on a entendu en cours, que le masculin l’emporte sur le féminin.

On dirait que je pinaille mais ça a un impact dans nos inconscients collectifs. Aujourd’hui on écrit :
Les candidats et les candidates sélectionnés.

Alors que la règle de proximité nous ferait écrire : les candidats et les candidates sélectionnées.

On écrit aussi sans trop de peine (même si ça pique un peu plus) :

Les avis et les opinions exprimés.

Mais on se sent tout de suite beaucoup plus mal à l’aise d’écrire :

Jean et ses 40 soeurs sont beaux.

Là, on sent bien que c’est bizarre. Alors pour l’éviter on se contorsionne, on évite de faire cette phrase. Mais pourquoi ? 

Si le masculin est neutre pourquoi a-t-on tant de mal à dire que Jean et ses soeurs sont beaux ?

Il faut se rendre à l’évidence : nous n’arrivons pas à assimiler totalement le masculin à du neutre.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la loi nous impose de faire un effort dans nos annonces.

Que dit la loi sur les annonces ?

Voilà ce que nous dit le site du ministère du travail :Il en est de même en ce qui concerne le sexe. Nul ne peut ainsi mentionner ou faire mentionner dans une offre d’emploi le sexe ou la situation de famille du candidat recherché. 

Cette interdiction est applicable pour toute forme de publicité relative à une embauche et quels que soient les caractères du contrat de travail envisagé. 

L’offre doit donc être rédigée de façon à faire apparaître clairement qu’elle s’adresse indifféremment aux hommes et aux femmes. Ainsi, par exemple « Cadre H/F » ou « Employé(e) ». Pour plus de précisions, on peut se reporter à la fiche »L’égalité professionnelle homme-femme ».

Remarquons que le texte est à la fois précis et vague. Commençons par le vague : il n’y a que deux moyens proposés pour rédiger une annonce qui s’adresse indifféremment aux hommes et aux femmes. Le première est la mention H/F, la deuxième est la parenthèse.

C’est pour ça qu’on a vu fleurir la mention H/F dans toutes les annonces. Parce qu’elle est explicitement citée. Certaines personnes sont même convaincues qu’il s’agit d’une mention obligatoire. Alors que pas du tout : c’est un simple exemple. La loi me laisse libre de neutraliser mon texte comme je veux. Elle précise bien qu’il s’agit d’un exemple. Elle m’impose de neutraliser le genre mais elle ne m’impose pas le comment.

D’ailleurs, le paradoxe c’est que beaucoup d’entreprises utilisant la mention H/F sont en réalité probablement dans une zone ambigüe de la légalité. Pourquoi ? Parce qu’elles se contentent de le mettre dans le titre. Puis, ensuite c’est open bar : comme je l’ai mis dans le titre, je ne le mets plus. Or, la loi dit bien que l’offre doit être rédigée de manière à s’adresser indifféremment aux hommes et aux femmes. Elle ne dit pas explicitement que c’est le titre seulement qui doit le faire. Il y a donc matière à interprétation.

En revanche, je trouve que le texte est également précis. En effet, les exemples retenus sont très parlant. Le premier est le mot cadre. Or, il s’agit d’un mot neutre à l’écrit. On pourrait donc se dire qu’il n’y a pas besoin de faire l’effort de neutraliser. Pourtant, c’est l’exemple choisi. 

De même, l’exemple du mot employé(e) est suffisamment précis pour nous suggérer qu’on doit faire l’effort de féminiser les mots qui sont par défaut au masculin.

Il y a donc bien une obligation de faire un effort par rapport à la langue courante.

La guerre de l’écriture inclusive

Cette législation et d’autres discussions de société ont poussé les individus à proposer des solutions pour écrire de manière neutre. On a appelé cet effort l’écriture inclusive.

Alors attention : cette expression est très chargée politiquement au moment où je l’écris. Je ne vais donc plus l’utiliser dans le reste de l’article, une fois que j’aurais désamorcé les confusions les plus courantes à son sujet. Je me remettrai à dire féminiser ou neutralisermon texte, selon les cas.

L’écriture inclusive est un terme qui a malheureusement été agité par des politiciens réactionnaires pour jeter l’opprobre sur ce travail. Et, comme tout ce qui est touché par des politiciens et des médias, c’est devenu la foire d’empoigne. 

D’ailleurs, on peut observer l’impact de cette foire. En effet, en 2017, quand on sondait les français et les françaises sur l’écriture inclusive, 75% se disaient favorables (et 67% des hommes et 83% des femmes). Ce qui est intéressant dans ce sondage c’est qu’une grande partie n’avaient jamais entendu l’expression écriture inclusive. On a donc dû leur expliquer avant ce que c’était.

Ce sondage contraste très fortement avec celui de 2021. Cette fois, 63% des personnes se sont déclarées opposées à l’écriture inclusive. Avec toujours autant de personnes (41%) qui déclarent ne pas savoir ce que c’est.

En un quinquennat, l’opinion c’est dont totalement inversée sur le sujet. Nous avons d’ailleurs posé la question sur LinkedIn. Bien entendu, ce ne peut être considéré comme un sondage rigoureux. Mais la réponse nous a étonné :

Pour avoir déjà abordé le sujet en formation, je suis convaincu qu’une partie de l’opposition vient du climat politique mais que l’autre vient également de la caricature du sujet (qui en est une conséquence). Par exemple, énormément de personnes se disant contre l’écriture inclusive se diront pour les efforts d’écriture neutre ou même de féminisation des mots. Alors que c’est la même chose.

Pourquoi ? Parce que beaucoup de personnes confondent écriture inclusive et point médian. C’est-à-dire quelque chose comme : employé·e, employé·e·s, employé·es ou recruteur·euse·s

Alors que la mention H/F est de l’écriture inclusive. L’écriture inclusive est :

« un ensemble d’attention graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes ».

Alors que beaucoup de gens utilisent déjà les parenthèses, depuis plus de 30 ans. Ça n’a rien de nouveau d’écrire employé(e). Et bien ça aussi c’est de l’écriture inclusive. Le point médian est un outil de l’écriture inclusive mais ce n’est pas le seul.

Il faut donc dépassionner le débat et se recentrer sur notre mission en tant que recruteurs et recruteuses. La loi nous impose de neutraliser nos annonces. C’est donc ce qu’on doit viser, peu importe le moyen.

Au-delà de la loi : une responsabilité professionnelle

Même si la loi ne nous imposait pas de neutraliser nos annonces, l’exemple du début nous montre l’importance de le faire. Quand on dit un chirurgien, un docteur, un ministre, on pense spontanément à un homme.

Or, quand nous écrivons une annonce, notre objectif est évidemment d’attirer les personnes indifféremment de leur genre. Rares sont les personnes à pratiquer consciemment de la discrimination. L’essentiel de la discrimination est véhiculée par nos erreurs inconscientes, nos biais cognitifs. 

Le problème c’est que la définition d’un biais inconscient c’est d’être inconscient. Donc même en demandant, la totalité des personnes répondront que ça n’influe pas sur elles. Moi le premier. Si on me demande mon instinct, je suis convaincu que ça ne change rien de mettre chirurgien ou alors chirurgien(ne). Mais en même temps… mon instinct il me convainc aussi que la Terre est plate. Je n’ai pas conscience d’être incapable de voir la courbure de la Terre à l’oeil nu. C’est pareil ici.

C’est pour ça qu’on a inventé la science : pour faire des expériences qui contredisent l’instinct.

En 2005, lorsque des métiers étaient présentés à des enfants en mentionnant explicitement les deux genres, les effets des stéréotypes de genre quand les enfants estimaient s’ils pourraient faire tels ou tels métiers étaient significativement réduits.

Quand on a présenté des métiers “masculins” à des petites filles en les présentant au masculin neutre, elles se sont auto-attribuées une moyenne de 10,8/20 d’aptitude dans ces métiers. Les métiers étaient entre autres : mathématicien, directeur commercial, mécanicien, informaticien, chirurgien (ah bah tiens).

On a ensuite présenté ces métiers à un autre groupe de petites filles en les présentant soit avec des parenthèses soit avec des slashs (ex : mathématicien(ne) et mathématicien/mathématicienne). 

Résultat ?

Cette fois, les petites filles se sont auto-attribuées une moyenne de 12,7/20. On a donc une amélioration significative de la perception juste en faisant ce petit effort de présentation.

Pour comparaison : le groupe de petits garçons, sur les mêmes métiers, s’est auto-attribué une moyenne de 18/20.
Une autre expérience, cette fois en anglais, a été réalisée dans les années 80. On a inventé de toutes pièces un nom de métier : wudgemaker

Cette fois, les petits garçons et les petites filles s’évaluent de la même manière sur ce métier imaginaire à condition qu’on utilise le pronom she, they ou he or she. Mais dès qu’on utilise le pronom he, les résultats s’effondrent chez les petites filles qui diminuent leur note de 23%.

L’impact d’un seul pronom est dingue.

La dernière expérience que je voulais te partager sur le sujet n’en est pas une à proprement parler puisqu’il s’agit d’une question annexe à un sondage. Elle n’a donc pas été soumise au protocole scientifique, contrairement aux deux précédentes. Mais elle nous éclaire néanmoins :

Pour illustrer les conséquences de l’utilisation de l’écriture inclusive, l’organisme sondeur a également posé des questions ouvertes aux interrogés. Trois questions étaient déclinées en trois formulations différentes.

1 – Un premier tiers de personnes entendait des questions genrées, utilisées habituellement, comme“pourriez-vous citer deux présentateurs du journal télévisé”.

2 – Un deuxième tiers une question à formulation inclusive, soit“pourriez-vous citer deux présentateurs ou présentatrices du journal télévisé”.

3 – Enfin, le troisième tiers dut répondre à des questions dites“épicènes”, soit dénuées de genre, comme“pourriez-vous citer deux personnes présentant le journal télévisé.”

Les réponses montrent que la formulation habituelle(1) favorise le choix d’animateurs masculins : seuls 41% des répondants citent spontanément une femme présentatrice. Ce chiffre  passe respectivement à 42%  et 51% pour les questions 2 et 3.

En d’autres termes, utiliser une formulation dénuée de tout genre (ex : une personne qui présente le journal) permet d’augmenter significativement le nombre de personnes qui citent spontanément au moins une femme.
Pouvons-nous vraiment rester insensible à ces effets, quand une partie de notre métier consiste à attirer des candidatures via des textes (des annonces) ?

Est-ce vraiment professionnel d’ignorer totalement le sujet une fois qu’on en prend conscience ?

Mais c’est compliqué !

Oui. Je ne veux pas me placer en donneur de leçon. C’est dur. Moi-même dans mes articles je n’ai pas toujours fait l’effort.

La langue française est genrée. Et elle n’a pas de troisième genre qui serait le genre neutre. Ça nous met donc face à un défi. Moi-même j’ai mis du temps à produire du contenu de formation sur le sujet car toutes les sources dont je disposais étaient anglo-saxonnes.

Il y a par exemple un outil qui s’appelle textio et qui permet d’analyser si une offre d’emploi utilise un langage qui va attirer davantage les hommes que les femmes. Mais ça ne fonctionne qu’en anglais.

Or, en français, la tâche est bien plus compliquée puisqu’il y a la question du genre des noms.

C’est dur.

Certaines solutions ralentissent la lisibilité. On ne peut pas nier que le point médian pose un souci de lisibilité notamment pour les personnes dyslexiques ou illettrées. Mais, encore une fois, le point médian est une arme parmi les autres dans l’arsenal. Nous sommes donc libres de l’utiliser ou non.

L’important c’est de mener l’effort de neutralisation du texte. Sans jeter le bébé avec l’eau du bain.

Ça demande un effort. Moi-même ça a été mon frein principal si je suis honnête avec moi-même. Je me suis beaucoup dit que c’était par souci de lisibilité que je ne faisais pas d’effort. Puis un jour je me suis rendu compte que c’était surtout un souci d’écriture.

D’ailleurs, je remarque que nous savons très bien faire ce genre d’efforts quand il s’agit d’éviter de choisir entre le tutoiement et le vouvoiement quand on rencontre quelqu’un.

Je remarque également que nous savons nous contorsionner quand il s’agit d’utiliser le masculin neutre. Car, contrairement à ce qu’on peut penser, le masculin neutre demande aussi des contorsions. On a juste beaucoup plus l’habitude de les faire.

Au lieu d’écrire Jean et ses soeurs sont beaux on va écrire Jean est beau. Ses soeurs sont belles aussi. Ou encore Jean est aussi beau que ses soeurs. 

On arrive à trouver des solutions et je n’ai jamais vu personne se plaindre de cette contorsion : parce qu’elle nous paraît naturelle. On sent bien que ce serait une invisibilisation beaucoup trop grande du genre féminin que d’écrire Jean et ses soeurs sont beaux.

Quelques astuces pour féminiser et neutraliser nos annonces

Ceci étant dit, comment faire concrètement ? Voilà quelques astuces que j’ai trouvé dans un guide rédigé par l’institut national de la recherche scientifique québécois.

Astuce #1 | Pense et rédige de manière inclusive dès le départ

C’est un principe qui est connu des personnes qui essaient d’apprendre une langue : il vaut mieux essayer de penser dans la langue d’arrivée plutôt que de penser dans sa langue maternelle puis essayer de traduire. C’est pareil ici : il vaut mieux penser d’emblée l’annonce en intégrant ce souci de neutralisation. Plutôt que de vouloir féminiser une annonce qu’on a écrit au masculin, il est plus facile et plus fluide de la créer directement en pensant neutralité.

Astuce #2 | Pense aux parenthèses

  • L’OQLF souligne que les parenthèses sont déjà couramment utilisées dans la formulation des doublets abrégés. Elles le sont également pour introduire une alternance possible entre le singulier et le pluriel (ex. : Cochez le(s) critère(s) correspondant à votre situation.). 
  • Y recourir pour exprimer une alternance entre le féminin et le masculin est donc une extension d’emploi logique.

Je fais le même constat : je vois cet usage depuis que j’ai l’âge de lire. Si tu te sens davantage à l’aise avec cette manière de faire, c’est également une manière de neutraliser.
Certes ce n’est pas parfait car ça envoie symboliquement le message que le féminin est entre parenthèses. Mais il vaut mieux un effort imparfait que de ne rien faire parce que la solution plus lourde te braque.

C’est d’ailleurs, un des deux exemples proposés par le ministère du travail : employé(e).

Astuce #3 | Utilise des noms collectifs ou des noms de fonction

Par exemple le personnel plutôt que les employés. La direction plutôt que le directeur ou la directrice. Ou encore : assemblée, communauté, corps professoral, public

Astuce #4 | Utilise le mot personne

C’est probablement l’astuce que j’utilise le plus souvent. Je l’ai utilisé dans le texte de cet article. Par exemple les personnes qui recrutent plutôt que les recruteurs et les recruteuses.

Ou alors la personne que nous allons retenir pour ce poste sera qualifiée…

Cette astuce à l’avantage de réintroduire du féminin neutre dans le texte. En effet on peut dire d’un homme qu’il est une personne douée sans que ça sonne bizarre. Du coup, utiliser un féminin neutre permet de compenser pour les moments où on va utiliser un masculin neutre. 

Astuce #5 | Pense aux adjectifs neutres à l’écriture

Par exemple l’adjectif apte est neutre à l’écriture alors que l’adjectif qualifié doit s’accorder.

De manière générale, il faudra essayer de trouver des synonymes aux adjectifs qui finissent en é. 

Astuce #6 | Voilà une liste de pronoms neutres

On, personne, quiconque, plusieurs, n’importe qui, nul, tout le monde, chaque…

Par exemple, j’utilise énormément le “on” pour ne pas avoir à utiliser un mot genré.

Quand j’ai écrit plus haut

On a ensuite présenté ces métiers à un autre groupe de petites filles 
ça m’a permis d’éviter d’écrire  :

les chercheurs et les chercheuses ont ensuite présenté ces métiers à un autre groupe de petites filles.

Astuce #7 | Préfère la voix active à la voix passive

De manière générale, les textes écrits à la voix actifs sont préférables dans les annonces car ça véhicule plus spontanément une énergie. Mais ça nous aide de surcroit pour notre sujet de neutralisation du genre du texte. En effet, la voix passive va t’obliger à rajouter un accord.

Par exemple, à la voix active tu vas écrire :

On invite les candidat(e)s à postuler.

Alors qu’à la voix passive il faudrait écrire :

Les candidat(e)s sont invité(e)s à postuler.

On voit bien que la voix passive te rajoute un accord de plus et donc un effort de plus (ici j’ai choisi les parenthèses mais ça serait pareil avec un point médian ou un doublet).

Astuce #8 | Pense aux doublets

C’est également une des armes que j’utilise le plus fréquemment. Quand j’écris les recruteurs et les recruteuses c’est un doublet.

Pareil pour les candidats et les candidates.

Astuce #9 | Répéter le H/F tout au long du texte

J’aurais plus de mal à le faire, à titre personnel, car je n’ai jamais aimé cette mention. Mais je me dis que quelqu’un qui a eu l’habitude d’utiliser cette mention pourrait être davantage à l’aise à l’utiliser tout au long du texte. Et pas seulement dans le titre.

Accepte de débuter et de progresser

J’ai remarqué qu’un des plus grands obstacles de la formation était la sensation de se sentir jugé·e. Ou, pire encore, la sensation d’impuissance. Alors on abandonne avant d’essayer et on se réfugie derrière une opposition. 

Moi le premier. Au début j’étais plutôt réticent à utiliser le point médian dans mes écrits. Puis, un jour… j’ai tout simplement essayé. C’était dur : mais moins que ce que je pensais. Puis, au fur et à mesure j’ai développé plein de stratégies de contournement et j’ai intégré le point médian à mon arsenal. Mais c’est surtout les doublets qui ont changé ma pratique. Le fait d’écrire et dire recruteurs et recruteuses.

Un jour, j’ai reçu un email d’une personne qui me disait qu’elle avait suivi une de mes formations et qu’elle avait été très marquée par le fait que j’utilise les doublets. Que quand elle entend pour être un bon négociateur elle a du mal à s’identifier à cette discipline qui est stéréotypée masculine. Alors que quand on dit pour être un bon négociateur et une bonne négociatrice ça lui insuffle direct un bol de confiance.

Est-ce que ça me demande un effort d’utiliser les doublets en formation ? Oui. 

Mais quand je vois l’impact que ça peut avoir sur une personne, je ne peux pas négliger la question en mon âme et conscience.

L’idée ce n’est pas de me comparer aux autres et me désespérer de mon niveau dans la discipline d’écriture neutre.

L’idée c’est de faire mieux que ce que j’ai fait la semaine précédente. Chaque personne à son rythme.

Un peu c’est mieux que rien

J’insiste sur ce point depuis le début parce que c’est fondamental. Je peux comprendre que certains outils de l’écriture neutre te rebutent si tu débutes. En revanche, il n’y a pas d’excuse pour en pas faire le moindre effort. On ne peut pas se contenter d’utiliser un masculin neutre quand on voit les effets que ça a sur l’audience. 

Tu vois, là j’ai écrit audience plutôt que candidats et candidates ou candidat·es : c’est l’astuce 4.

La bonne nouvelle c’est que ce n’est pas binaire : ce n’est pas tout ou rien. Les efforts de neutralisation du genre sont un spectre. Ton travail est de t’améliorer sur ce spectre, mais en partant de là d’où tu pars.

Je t’ai proposé quelques astuces pour le faire, mais moi-même je suis en plein apprentissage. J’en trouverai donc probablement d’autres. C’est pareil pour toi : l’écriture est un sujet très personnel, très intime, donc c’est à toi de t’approprier ta langue pour voir comment tu la nettoies. Peu importe comment tu la nettoies, l’important c’est d’avoir conscience de la nécessité de nettoyer.

Sinon, tu veux te former à l’écriture de tes annonces ?

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Sources :

Ecriture inclusive : trois quarts des Français·e·s sont pour

L’écriture inclusive : parlons faits et science

Offre d’emploi et embauche : les droits du candidat

Guide de rédaction inclusive

Pourquoi il ne faut pas recruter sur la “motivation” ?

“Il est venu en entretien sans avoir lu le site, avant ! C’est la preuve qu’il n’est pas motivé. Il vient les mains dans les poches”

“Mais tu lui avais demandé de regarder le site ?”

“Bah non ! C’est quand même la moindre des choses de se renseigner un minimum sur l’entreprise avant de faire un entretien. Surtout quand on connaît le taux de chômage. Les gens devraient se bouger”

J’ai souvent cet échange (ou une variante) en formation. Il révèle une croyance bien ancrée chez les recruteurs et les recruteuses : la motivation est une variable à évaluer. Ou en tout cas un prérequis pour poursuivre la démarche de recrutement. On retrouve la même idée quand on dit :

“Je ne relance jamais mes messages d’approche. En effet, si la personne ne répond pas la première fois c’est qu’elle n’est pas motivée”

C’est encore plus flagrant dans le nom de certains outils : la lettre de motivation par exemple. Au point même que l’argument le plus récurrent soit dynamique et motivé.

On veut éviter les recrues qui ne s’investissent pas

Cette recherche de la motivation repose sur une idée légitime : on a en tête des personnes qu’on a recrutées et qui “traînaient de la patte”. Quand ça arrive c’est la tuile : une personne démotivée va nécessairement contre-performer.

J’enfonce des portes ouvertes.  

Pour autant, il ne faut pas commettre une faute de raisonnement. En effet, ce n’est pas parce que les personnes “démotivées” font de mauvaises performances que ça veut dire que les personnes “motivées” font de bonnes performances.

De la même manière que c’est pas parce que les athlètes qui mangent mal ne gagnent pas les Jeux Olympiques que les athlètes qui mangent sainement gagnent les Jeux Olympiques. 

Il suffit d’être démotivé pour livrer une mauvaise performance, mais ce n’est absolument pas nécessaire.

Il y a des personnes motivées en entretien et nulles à leur poste

Je connais une personne qui n’a jamais raté un entretien dans sa vie. Elle en a fait plus d’une vingtaine et à chaque fois c’est un carton plein. Les recruteurs veulent qu’elle commence au plus vite. Parfois, on change même les conditions d’embauche spécialement pour elle tellement elle génère de l’enthousiasme.

Mais, une fois en poste, elle se lasse vite et postule à un autre job. Ce qui fait qu’elle reste rarement plus de 6 mois dans un endroit.

Elle est l’illustration d’un principe qu’on oublie trop souvent : le bon candidat n’est pas nécessairement la bonne recrue.

Candidat n’est pas un métier. Mais certaines personnes sont naturellement douées dans l’exercice. Sans que ça présage de leur niveau en poste.

C’est d’ailleurs mon cas : je pense que si vous me donnez un temps de préparation suffisant je peux rentrer dans n’importe quelle entreprise. Parce que, justement, je sais comment lire les sites et utiliser l’information pour me démarquer. Je sais comment faire la bonne blague au bon moment. Je sais envoyer un message après l’entretien pour passer pour quelqu’un qui fait du suivi (alors que je suis, en temps normal, incapable de gérer mes emails).

Ce qui est terrible c’est que beaucoup des personnes qui me disent qu’elles éliminent les candidat·es pas assez motivé·es sont, en même temps, conscientes que la motivation ne présage pas de la performance.

J’ai formé plusieurs entreprises avec des marques commerciales qui font rêver le grand public où on m’a dit : c’est une horreur, on a plein de personnes qui postulent parce que la marque fait rêver. On les prend car en entretien elles sont très motivées. Mais ensuite c’est la désillusion quand elles se rendent compte que c’est pas parce qu’on est Nintendo qu’on vient au bureau déguisé en Mario.

(J’ai changé l’entreprise pour l’anonymat. Nintendo n’a jamais travaillé avec moi. Bien que ça soit une de mes entreprises préférées.)

Ce qui est fou, c’est que ce sont les mêmes personnes qui, plus tard dans la journée de formation, vont me dire qu’elles éliminent un candidat qui ne montre pas assez patte blanche de motivation.

C’est paradoxal.

Nous avons conscience que les meilleurs dragueurs ne font pas forcément les meilleurs partenaires de vie, mais nous ne pouvons nous empêcher de juger sur ça au premier contact. Probablement parce que nous sommes flatté·es quand on nous drague et que ça nous vexe quand quelqu’un nous dit qu’il ne connaît pas notre marque.

Alors, inconsciemment, on favorise les personnes qui affichent le plus de motivation.

Mais… la motivation sur la base de quoi ?

Le décalage entre la marque employeur et la réalité

95% des entreprises avec qui je travaille n’ont pas vraiment de marque employeur : c’est la marque commerciale qui s’y substitue. Sans compter que les sites corporate sont souvent très mal faits, rébarbatifs et incompréhensibles.

C’est d’ailleurs pour ça que les candidat·es n’aiment pas y aller : ils se ressemblent tous et n’apportent pas de réelle information. Mais admettons. Imaginons un site employeur qui donne vraiment de l’information.

Quelque chose comme sait faire Welcome To The Jungle.

C’est précieux, je ne le nie pas. Cependant ça ne permet pas vraiment de savoir à quoi ressemblera son quotidien. Même si on faisait le site parfait, on couvrirait à peine 10% de la réalité.

Parce que certaines choses ne peuvent se comprendre qu’en les vivant. Par exemple, sur notre site à nous nous avons plusieurs valeurs. L’une d’elle s’appelle “dis les choses”. En gros, c’est l’idée que l’on préfère toujours le fond à la forme, la franchise à la diplomatie. C’est un choix culturel comme un autre. D’autres entreprises préfèreront la diplomatie et heureusement.

D’expérience c’est une de nos particularités les plus choquantes pour les recrues qui débutent chez nous. D’un coup, les nouveaux entrants se retrouvent entourés d’autres personnes qui se disent tout, dans un langage souvent fleuri (comme dans la vraie vie). Pire, on leur demande de s’exprimer franchement. C’est quelque chose dont la plupart n’ont pas l’habitude. Nous avons plutôt appris à marcher sur des oeufs quand on parle. Sinon on se fait gronder.

Chez nous, c’est l’inverse, on te gronde si tu parles en langue de bois. C’est écrit sur notre site, je l’explique en entretien. Pour autant, au bout de 3 mois toutes les recrues me font le même retour : je ne m’attendais pas à ce que ça soit à ce point !

Je ne raconte pas ça pour en faire un modèle. Encore une fois : il n’y a pas de culture d’entreprise supérieure à une autre. Je raconte ça parce que c’est mon expérience la plus révélatrice de ce phénomène de décalage entre ce qu’on perçoit de l’extérieur et ce qu’on vit à l’intérieur.

Sachant cela, la motivation d’une personne candidate est forcément biaisée. Parfois, on reçoit des candidatures de personnes très motivées à nous rejoindre. Souvent, cette motivation repose sur une idée erronée de ce qu’est notre quotidien.

Voilà pourquoi il y a peu de lien entre la motivation en entretien et la performance en poste. Parce que cette motivation repose sur l’image qu’on se fait du quotidien dans l’entreprise et non sur la réalité.

J’en arrive donc à la nuance essentielle de cet article : c’est la motivation à l’entrée qui est une information inutile, selon moi.

En effet, si on prend deux personnes en poste depuis 6 mois et qu’on évalue leur motivation à se lever le matin pour faire leur job, il est évident qu’on va trouver un lien entre cette motivation et la performance.

Ce que je dis c’est que ce n’est pas vrai en ce qui concerne la motivation à l’entrée, celle qu’on a avant même de commencer.

La motivation à l’entrée ne présage pas de la motivation ensuite

Voilà le calcul implicite que l’on fait quand on cherche à évaluer la motivation en entretien : on se dit qu’il vaut mieux que une personne A qui commence à 100 unités de motivation plutôt qu’une personne B qui commence à 30. Parce que, comme ça, quand la lune de miel du début finira et qu’elles perdront 30 unités, la personne A sera toujours à 70 alors que la personne B sera déjà démotivée, à 0.

Sauf que ça ne marche pas comme ça. Certaines personnes commencent neutres avec une motivation basse, puis sont totalement motivées 6 mois après. Certaines personnes commencent avec une motivation au plafond puis se heurtent à la désillusion. 6 mois après elles veulent partir.

J’aurais même tendance à dire qu’une personne trop motivée à l’entrée présente forcément ce risque de désillusion.

Voilà la seconde erreur de raisonnement : croire que l’évolution de la motivation est un phénomène linéaire et homogène. Alors que c’est un phénomène complexe et erratique.

Combien de fois a-t-on vu un candidat tellement motivé qu’il est prêt à faire 1h30 de transport tous les matins pour nous rejoindre. Puis… au bout d’un mois s’en mord les doigts. Encore une fois : le décalage entre ce qu’on projette et la réalité. 

On confond motivation et désespoir

Combien de fois ai-je entendu dire : ce n’est pas grave si notre site carrière est mal fait, ça permet de trier les plus motivé·es.

Ou alors en version blague : bon, le site est vraiment pas ergonomique mais au moins les personnes qui arrivent jusqu’à la fin on sait qu’elles sont motivées.

Ce à quoi je pourrais répondre et alors ? Quel est le lien entre la motivation du début et la performance future ?
Mais c’est un peu brutal. Alors je réponds par une blague : tu vas garder les personnes les plus motivées ou les plus désespérées ?

Ce n’est qu’à moitié une blague : on a effectivement tendance à masquer nos dysfonctionnements par cet argument de la motivation. Comme si les personnes devaient en baver pour mériter leur place. Comme si le recrutement était une sorte de Koh Lanta géant par lequel nous sommes nous-même passés et donc exigeons que les autres passent.

Ce faisant, on oublie que la position de recherche d’emploi génère des sentiments de vulnérabilité. Parfois même d’humiliation. J’ai vu passer sur Twitter quelqu’un qui disait :

(Faire des CV vidéos je trouve que c’est l’humiliation ultime qu’a pu produire notre société contemporaine)

Que l’on soit d’accord ou pas il faut que l’on garde en tête que c’est comme ça que beaucoup de personnes le vivent. Il faut donc prendre garde à ne pas créer ce sentiment. En évitant cette posture où on exige de la motivation (alors que ça n’a pas de lien avec la performance) sans nous-même montrer notre “motivation” en tant qu’employeur. Nous ne faisons jamais exprès de générer cette sensation d’humiliation. Heureusement. Mais elle existe néanmoins. Malheureusement.

Mais revenons à notre sujet de la motivation.

On comprend mal la motivation

On pourrait écrire un livre entier sur le sujet (et d’ailleurs ces livres existent) mais nous allons nous limiter à quelques exemples.

En vérité, le mot “motivation” laisse penser que la motivation est une force interne, un trait de personnalité. Alors qu’une partie vient du contexte. Tout le monde a en tête quelqu’un qui était démotivé dans une école puis qui se métamorphose en changeant d’école ou en arrivant sur le marché du travail.

De même, la procrastination. Parfois on l’imagine comme étant de la fainéantise intrinsèque à l’individu. Dans ce cas, comment expliquer que les personnes qui procrastinent soient toutes molles jusqu’à ce que la date fatidique approche et d’un coup abattent des montagnes de travail en accéléré ?

Il en va de même sur la notion de récompense. Notamment notre rapport aux incitations financières. Voilà ce que nous raconte Dan Pink dans son Ted Talk sur le sujet :


“Dan Ariely, l’un des plus grands économistes contemporains, et trois de ses collègues ont effectué une étude sur certains étudiants du MIT. Ils ont donné à ces étudiants du MIT un tas de jeux. Des jeux qui impliquent la créativité, et la motricité, et la concentration. Et ils leur ont proposé pour leurs performances trois niveaux de récompenses. Petite récompense, moyenne récompense, grosse récompense. OK ? Si vous réussissez vraiment bien, vous recevez la grosse récompense, etc. Que s’est-il passé ? Tant que la tâche n’impliquait qu’un talent mécanique les bonus ont marché comme attendu : plus la paie était haute, meilleure était la performance. OK ? Mais dès qu’une tâche demandait un talent cognitif, même rudimentaire, une plus grosse récompense conduisait à de moins bonnes performances. “

Il enchaîne avec une nouvelle encore pire :


“Le mois dernier, juste le mois dernier, les économistes de la LSE ont examiné 50 études de systèmes de rémunération à la performance dans des entreprises. Voilà ce que ces économistes ont dit: »Nous avons trouvé que les incitations financières peuvent causer un impact négatif sur la performance globale. » “

En d’autres termes : la motivation est un phénomène complexe qui échappe à notre intuition. Sachant cela, nous devrions garder une prudence extrême (surtout quand on n’a pas eu de formation à la psychologique) et nous entraîner à ne pas surinterpréter ce qu’on observe comme étant de la motivation en entretien.

Mais, le phénomène qui a le plus changé ma vision du sujet est celui de l’inertie de la motivation. Je l’ai découvert dans le livre L’art subtil de s’en foutre.


“L’action n’est pas seulement l’effet de la motivation ; elle en est aussi la cause.”

“La motivation ne fonctionne pas uniquement comme une chaîne en trois étapes. 

Elle s’inscrit aussi dans un cycle sans fin : 

Inspiration → motivation → action → inspiration → motivation → action → etc. 

Les actions engendrant de nouvelles réactions émo-tionnelles et inspirations qui elles-mêmes motivent de nouvelles actions, etc., il s’agit donc de refaçonner son état d’esprit de la manière suivante : 

Action → inspiration → motivation”


En d’autres termes, la motivation vient en faisant. C’est la sagesse contenue dans le proverbe populaire : l’appétit vient en mangeant.

Il est important de l’avoir en tête : la motivation est le moteur de nos actions mais nos actions sont aussi le moteur de la motivation. 

Rédéfinissons la motivation

Bon… je viens de passer mon temps à expliquer pourquoi je pensais que la motivation était une variable hors propos. Mais il est temps de nuancer. En réalité, il est utile d’évaluer la motivation. Seulement, il faut le faire à deux conditions. La première étant de ne pas confondre motivation, enthousiasme et désespoir. La seconde étant de ne pas la voir comme quelque chose de facile à évaluer.

Si on reprend les exemples que j’ai pris plus haut, le souci est qu’on observe de l’enthousiasme et qu’on en déduit de la motivation. Ou alors on observe un manque d’enthousiasme initial et on en déduit de la démotivation.

Alors que la motivation qui nous intéresse est plutôt la résultante de l’adéquation entre les valeurs de l’entreprise, les caractéristiques du job et la personnalité de la future recrue.

(Sans compter qu’il existe des personnes qui sont motivées mais n’affichent jamais de l’enthousiasme. Orelsan est un bon exemple d’une personne qui a l’air toujours flegmatique mais qui pourtant est un monstre de travail. Son air fainéant n’est qu’un air)

Quelqu’un qui se retrouve immergé dans une culture d’entreprise qui n’est plus adaptée à sa personnalité peut subitement perdre toute motivation. Quelqu’un qui se retrouve à un poste où sa performance n’est pas au rdv, perdra également la motivation au bout d’un moment.

C’est d’ailleurs un phénomène étonnant quand on recrute. On prend une personne qui était en situation de surperformance à son poste, on l’embauche exactement au même poste chez nous et… elle est en sous-performance, voire en échec. À se demander si c’est la même personne.

Oui, c’est la même personne mais immergée dans un contexte différent.

Dans le livre l’entrevue structurée est proposé un modèle nommé KSAO pour l’évaluation des candidat·es. 
Knowledge (connaissances) Skills (compétences) Aptitudes (potentiel) Other (autres caractéristiques)

La motivation, dans ce modèle, est présente mais elle est dans le O, dans le “autre”. Elle y côtoie les traits de personnalités, les besoins et les valeurs.

On ne va donc pas faire l’impasse sur la motivation mais la resituer dans cet ensemble. La définir comme une adéquation, a priori, avec la culture de l’entreprise et non un enthousiasme pour la marque commerciale ou un enthousiasme à passer le process.

“la motivation par rapport à l’emploi offert (soit la congruence des valeurs, objectifs, intérêts et attitudes du candidat à la culture, au climat, aux objectifs et aux normes de l’organisation)” 

“Donc, pour comprendre la motivation du candidat à travailler efficacement, il faut connaître ses objectifs, qui dépendront de : – ses besoins,– ses valeurs et attitudes, – ses intérêts.”

Seule une promesse employeur correctement définie nous permettra d’évaluer efficacement cette motivation

On arrive au point final : si l’on veut analyser une motivation il faut qu’elle s’appuie sur quelque chose de solide. Ce quelque chose c’est notre culture, notre promesse employeur.

Plus cette promesse sera claire et plus la motivation des candidat·es se reposera sur quelque chose de fiable et pourra être évaluée correctement.

Ce qu’on doit évaluer ce n’est pas si la personne montre patte blanche, si elle a lu notre site alors qu’on ne lui a pas demandé. Ce qu’on doit évaluer c’est l’adéquation entre ses valeurs, ses besoins et notre culture. C’est donc toujours une comparaison. On ne se demande pas si la personne en face est une personne motivée, en soi. On se demande si ses valeurs, ses besoins et ses intérêts sont en phase avec notre culture et nos intérêts. De là émanera la motivation.

Quand je dis “notre culture” je veux bien dire la culture de l’entreprise et celle de l’équipe qui va intégrer la recrue et non notre culture personnelle ou celle de notre équipe. En effet, certains propos sur la “motivation” sont en réalité des jugements de valeur qui procèdent de notre propre culture personnelle. Or, on ne cherche pas à recruter quelqu’un avec qui le recruteur ou la recruteuse s’entend, on cherche d’abord à recruter quelqu’un avec qui la personne qui manage s’entendra.

Du coup, la question pour une prochaine fois c’est comment bâtit-on une promesse employeur claire ? Comment faire pour clarifier notre culture à quelqu’un qui y est encore externe ? 

J’ai une idée. Mais pour la développer il me faudrait un autre article ou bien, tu jettes un oeil à notre parcours.

J’ai tout mis dedans 🙂

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