Comment convaincre ses opérationnels de mettre en place l’entretien structuré
On ne va pas se mentir : une fois que toi, recruteur ou recruteuse, t’as compris l’intérêt de l’entretien structuré, le plus dur commence. Faut embarquer les autres. Les partenaires internes. Les opérationnels. Et souvent… ils freinent des quatre fers.
Pourquoi ? Parce qu’on touche à leurs habitudes. À leur intuition. À leur pouvoir de dire “je le sens bien”.
Et là, c’est panique à bord.
Tu n’es pas seul·e. Beaucoup de pros du recrutement me disent la même chose : “J’ai compris la méthode, je veux l’appliquer… mais impossible d’embarquer les managers.”
Et c’est exactement pour ça que j’écris cet article. Parce que moi aussi, je suis passé par là.
Ça fait plus de trois ans que je forme des opérationnels à l’entretien structuré. Et crois-moi, après avoir formé plus de 500 managers, j’ai vu toutes les objections possibles et imaginables des réticents. Des sceptiques. Des “on a toujours fait comme ça”.
Mais aujourd’hui ? Je termine mes sessions sans une once de résistance. Mieux : j’ai des managers qui sortent enthousiastes, pressés de tester la méthode. Et certains finissent même par me dire… quelque chose d’assez inattendu (on en reparle à la fin).
Alors, qu’est-ce qui a changé ?
La clé : partir de leurs douleurs
Tu veux qu’un manager adhère à l’entretien structuré ? Commence par comprendre ses galères. Vraiment. Pas en mode “je prends des notes polies”. En mode “je ressens tes douleurs”.
Quelles sont les principales douleurs des opérationnels ?

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Quand tu bosses avec des opérationnels sur le recrutement, il y a deux types de douleurs à soigner.
- Celles qu’ils connaissent.
- Celles qu’ils subissent sans en avoir conscience.
Ce qu’ils savent… et qui leur fait peur
1. La trouille de se faire avoir
C’est leur hantise n°1 : le candidat“parfait” en entretien, qui se révèle être une catastrophe ambulante une fois embauché. Ce décalage entre l’image et la réalité les angoisse. Et franchement, on les comprend.
2. La peur de se planter
Recruter, ça engage. En cas d’erreur, c’est le manager qui trinque. Mauvais recrutement = perte de temps, perte d’équipe, perte de crédibilité. Alors forcément, ils marchent sur des œufs. L’enjeu est énorme, donc l’angoisse aussi.
3. Le malaise de ne pas avoir de méthode
“J’ai toujours recruté au feeling… mais est-ce que ça suffit vraiment ?” Cette phrase, je l’ai entendue des dizaines de fois. Beaucoup d’opérationnels sentent qu’ils bricolent. Et cette absence de cadre les insécurise. Ils veulent mieux faire… mais ne savent pas comment.
Ce qu’ils ignorent… mais qui les plombe
4. La dépendance aux “indices de compétence”
Diplômes, années d’expérience, postes précédents… Ces marqueurs rassurent. Alors ils les collectionnent. Mais attention : ce ne sont pas des critères fiables de compétence. Juste des raccourcis cognitifs. Tant qu’ils confondent les deux, ils s’auto-limitent dans leurs choix de candidats. Et font de ton sourcing un enfer.
5. Le gâchis de temps en entretien
Combien de minutes précieuses gaspillées à poser des questions inutiles ? À discuter de sujets hors-scope ? À blablater plutôt qu’évaluer ? Un paquet. Mais ils ne s’en rendent pas compte… jusqu’à ce qu’on leur montre comment faire mieux : grâce à l’entretien structuré comportemental.
6. L’indécision chronique
Tu connais cette phrase : “On peut voir d’autres candidats pour comparer ?” Elle cache une vraie douleur : l’incapacité à trancher. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de cadre clair. Pas de grille de lecture. Pas de point d’ancrage. Et pendant ce temps-là, les bons profils s’envolent.
Ce qu’ils croient encore (et qui les induit en erreur)

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On a parlé des douleurs. De celles qu’ils connaissent et de celles qu’ils ignorent. Mais si ces douleurs persistent, ce n’est pas un hasard.
C’est souvent parce qu’elles reposent sur des croyances erronées. Des idées reçues qui collent à la peau. Et c’est ça qu’on va démonter, pièce par pièce.
La première, elle est tenace : croire qu’un bon candidat, c’est forcément un bon professionnel.
Ça, c’est le piège numéro un.
Celui qui s’exprime bien, qui connaît les codes, qui “sait se vendre” — on lui déroule le tapis rouge. Mais en réalité ? Ce vernis, il ne dit rien sur la capacité à faire le job.
Rien.
Alors en formation, je les provoque un peu. Je leur demande : “Vous connaissez quelqu’un qui est très bon dans son métier, mais qui a raté un entretien ?”
En général, ils rigolent. Parce que oui, ils connaissent. Parfois, c’est même eux.
Et là, ça fait tilt. Ils veulent recruter des bons professionnels, pas des bons candidats.
Tu dois leur faire comprendre que se laisser séduire par un candidat qui maitrise les codes, c’est prendre le risque d’être arnaqué.
Nous ne sommes pas là pour être séduits, nous sommes là pour évaluer.
Autre fausse croyance : la motivation affichée pendant l’entretien garantirait l’engagement une fois embauché.
Je sors alors l’exemple de la salle de sport. Tu vois le genre : des gens hyper motivés en janvier, qui prennent leur abonnement avec les meilleures intentions du monde… et qui n’y vont jamais.
L’entretien, c’est pareil. Ce que tu vois, c’est de l’enthousiasme. Pas de l’endurance.
Pas la motivation de long terme, celle qui résiste aux réunions du lundi et aux tâches ingrates.
Troisième confusion : celle entre indices et critères.
Un diplôme, dix ans d’expérience, un passage chez Google (ou n’importe quelle grosse boite qui claque)… ça impressionne.
Mais ce ne sont que des indices. Des éléments qui peuvent rassurer, oui. Mais qui ne garantissent rien.
Ce qui compte, c’est ce que la personne est capable de faire aujourd’hui et ce qu’elle s’imagine faire demain. Chez toi. Avec tes enjeux.
Et ça, rien de ce qui est écrit dans le CV ne te le garantit. Pour le savoir, tu dois poser les bonnes questions lors de l’entretien pour évaluer si la personne en face de toi est compétente.
Le hic, c’est que beaucoup d’opérationnels arrivent en entretien sans avoir préparé la moindre question.
Ils ont une idée floue du “bon profil”, mais rien de solide pour juger. Alors ils improvisent.
Ils posent les questions qu’ils ont vues ailleurs, ou celles qui “les inspirent”. Mais toutes les questions ne se valent pas. Certaines prédisent la performance, d’autres non.
L’entretien structuré, c’est ça : poser à chacun les mêmes questions, bien choisies, en lien direct avec les critères. C’est pas rigide. C’est juste efficace.
Et même quand les critères sont posés, il manque souvent un dernier élément : une règle de décision claire.
À quel moment peut-on dire :“C’est bon, on recrute” ? Beaucoup ne savent pas répondre.
Alors ils repoussent la décision. Ils veulent voir d’autres candidats, comparer, temporiser. Et pendant ce temps, les bons profils s’échappent.
Mais dès qu’on leur donne ces outils, dès qu’on les aide à structurer leur démarche, la peur recule. Le flou se dissipe. Et surtout, ils arrêtent de recruter à l’instinct. Ils commencent à recruter avec justesse.
Comment les amener à utiliser l’entretien structuré ?

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Maintenant qu’on a aidé nos opérationnels à dégommer leurs fausses croyances sur le recrutement, on arrive dans le dur : leur apprendre à recruter vraiment.
À ne plus improviser. À structurer. Et c’est là que tu interviens.
Mais attention, tu n’as pas besoin de parler d’“entretien structuré”. Tu n’as même pas besoin de sortir un seul mot technique.
Ce qu’il faut, c’est leur faire vivre l’expérience de la méthode.
Leur montrer, pas leur expliquer. Leur faire sentir la différence entre un recrutement “à la gueule” et un recrutement qui tient debout.
La première étape, c’est de les aider à définir ce qu’ils attendent. Et là, tu vas voir à quel point c’est souvent un désert. Ils savent ce qu’ils ne veulent plus. Mais ce qu’ils veulent vraiment ? Ce qu’ils attendent d’un candidat pour dire oui ? Flou total.
Tu vas donc commencer par la base : les incidents critiques.
Tu vas leur faire revivre des situations où quelqu’un a brillé. Ou au contraire, où ça a planté sévère. Et tu vas creuser avec eux.
Tu veux comprendre les contextes où la performance est cruciale.
Tu veux identifier les comportements qui font la différence. Les bons comme les mauvais.
C’est pas juste un exercice de mémoire. C’est un levier énorme. Parce qu’une fois que tu as ces situations, tu peux en déduire des critères. Des vrais. Pas des compétences génériques. Des comportements précis, observables. Ceux que tu veux voir. Et ceux que tu veux absolument éviter.
Ensuite, tu les aides à transformer ça en une liste de critères clairs. Une liste qu’ils peuvent nommer, trier, hiérarchiser. Et là, tu les guides pour construire leur règle de décision.
Leur candidat minimum viable.
Tu les amènes à se demander : “Sur quoi je suis prêt à faire des concessions ? Et sur quoi je ne bougerai pas ?”
Ce travail-là, il est fondamental. Parce que quand ce cadre est posé, tout le reste devient plus simple. La prise de décision est plus rapide. Plus fluide. Et plus juste.
Ensuite seulement, tu les amènes sur le terrain des questions d’entretien.
Tu leur expliques que la qualité des réponses dépend entièrement de la qualité des questions. Et que pour évaluer des comportements… il faut poser des questions comportementales.
Ça paraît évident. Mais dans les faits, tu verras encore des “Parlez-moi de vous” ou des “C’est quoi votre plus grand défaut ?” à tous les coins d’entretien.
Tu peux utiliser un exercice simple : leur faire lire une trame d’entretien avec un mélange de bonnes et de mauvaises questions. Et leur demander : “Lesquelles t’aident vraiment à évaluer tes critères ?”
S’ils ne sont toujours pas convaincus après cela, je dégaine des comptes rendus d’entretien et je leur montre la différence de qualité des réponses obtenues aux questions. Ça finit de balayer les derniers doutes.
Et là, tu passes à la dernière brique : les barèmes.
Tu les aides à se poser la vraie question : “Comment je saurai que la réponse que me donne mon candidat est la bonne ?”
Et tu les aides à écrire ça. Pas dans le vague. De façon concrète. Parce que c’est ça qui leur permettra de comparer des candidats, de faire un choix, et surtout de ne pas tomber dans les pièges du “je le sens bien lui”.
Quand tout ça est en place — critères clairs, questions utiles, barèmes précis — tu les vois changer de posture. Ils prennent le contrôle. Ils recrutent avec intention.
Et surtout, ils comprennent qu’ils peuvent décider vite. Avec sérénité. Même après avoir vu une seule personne. Plus besoin “d’en voir d’autres pour comparer”.
Je t’ai dit au début de cet article que, à la fin de mes formations, les opérationnels conservent quand même une incompréhension majeure.
Elle se résume en une question : “Mais pourquoi on ne fait pas déjà ça partout ?”
Et cette question, elle est pour nous. Pour toi. Pour moi. Parce que la vérité, c’est que si ces méthodes ne sont pas en place, ce n’est pas à cause des opérationnels.
C’est parce que nous, recruteurs et recruteuses, on n’a pas toujours pris le temps de les apprendre. De les appliquer. Et surtout, de les transmettre avec pédagogie.
Alors ne t’y trompe pas : les opérationnels ne sont pas le problème.
Ça fait maintenant 6 ans que je suis formateur. Et je n’ai jamais rencontré un public de formation aussi facile. Curieux. Pragmatiques. Prêts à changer si on leur donne les bons outils.
Alors, avant d’aller voir ton opérationnel et de l’accompagner dans cette transformation, demande-toi : est-ce que ma pratique est à la hauteur de ce que je vais leur demander ?
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