Les robots vont-ils remplacer les recruteurs ?

J’ai été invité mardi dernier à une conférence sur le futur du recrutement. Avec toujours la sempiternelle question : les robots vont-ils nous remplacer ? L’interrogation est tout sauf nouvelle : le mot robot a été inventé en 1920.

Vous le savez : je n’aime pas parler de futur. Le présent est déjà suffisamment compliqué à comprendre. Se donner les moyens d’agir pour changer le présent est déjà une énorme tâche. C’est d’ailleurs souvent le grand souci des conférences ou articles sur le sujet : on fait semblant de croire qu’on est capable de prédire l’avenir.

On se comporte DÉJÀ comme des robots

Je crois que ce qui me fait le plus rire quand je nous entends parler des robots c’est que le recrutement est un des métiers les plus robotisés que je connaisse.  Evidemment pas au sens strict de machines mais au sens d’un métier où on débranche volontiers son cerveau pour répéter des tâches comme on les a toujours faites. Au sens où la quasi-unanimité des annonces sont écrites sur un ton robotique. Prenons la première annonce que l’on trouve sur Monster. Voici ce que je trouve :

« Issu(e) d’une formation supérieure de minimum Bac+5 (ENSEEIHT, ENSEIRB, ESTACA…), vous justifiez d’une expérience de 2 ans minimum en gestion de projet.

Vous possédez des compétences en gestion de projet telles que la mise en place de WBS (Work Break Down Structure)/OBS (Organizational Breakdown Structure); de tableaux de bord; de PQM (Plan Qualité de Management)ou de PDP (Plan de Développement projet).

Des notions en électronique, programmation, architecture réseaux, couplage ressource matérielle et la connaissance des bus et types de signaux utilisés en milieu industriel (aéronautique, ferroviaire,…) sont fortement appréciées.

La maîtrise d’un ERP (Entreprise Resource Planning) et du Pack Office est nécessaire. »

Vous faites preuve d’un excellent relationnel, êtes rigoureux, dynamique, et force de proposition ?
Rejoignez nous et contribuons ensemble à nos projets les plus ambitieux ! »

Qu’est-ce qu’il y a dans ce texte qu’un robot n’aurait pu écrire ? C’est froid, c’est désincarné, c’est mal écrit d’un point de vue littéraire. Qu’est-ce qui m’empêche de prendre une fiche de poste, une liste d’adjectifs bateaux, de les mouliner dans un algorithme et de ressortir un texte similaire ?

C’est sûr qu’en l’état actuel des technologies je ne pourrais pas recréer une oeuvre du niveau des livres de Victor Hugo ou des pièces de Molière. Mais ici on en est bien bien loin. Il serait très facile de créer une annonce automatisée. C’est d’ailleurs ce que les gens font en vérité : ils utilisent le copier-coller pour produire leurs annonces. Or, le copier-coller est une des tâches où les machines vont déjà BEAUCOUP plus vite que n’importe quel être humain.

D’ailleurs, il existe déjà des générateurs de lettres de motivation. Voilà ce que j’obtiens en 30 secondes en utilisant motivator.fr :

Objet : Candidature spontanée pour le poste de Formateur

Madame, Monsieur,

Actuellement Formateur chez Link Humans, je recherche un emploi de Formateur dès que possible. C’est avec l’envie de rejoindre l’entreprise, m’y investir et participer à son succès que je vous présente aujourd’hui ma candidature.

Fort d’une expérience de 2 ans au poste de Formateur à Link Humans, j’ai acquis une rigueur indispensable à l’exercice du métier. Créatif et innovant, observateur, je sais par ailleurs écouter et prendre en compte la spécificité des requêtes qui me sont formulées. Ces qualités me permettront, je l’espère, de remplir les missions dont j’aurai la responsabilité chez L’Oréal.

Je reste à votre disposition pour un entretien durant lequel je vous exposerai plus amplement ma motivation. Dans cette attente, veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes respectueuses et sincères salutations.

Nicolas Galita

Et on pourrait faire exactement le même générateur pour les annonces. D’ailleurs c’est peut-être une idée de produit à lancer !

Il en va de même pour les messages d’approche. La plupart des messages d’approche sont écrits sur un ton robotique. Voici le premier qui me tombe sous la main :

Bonjour,

Je cherche un Talent Acquisition Manager pour un de mes clients spécialisées dans les domaines de la gouvernance de données, transfo digitale.

Lieu: Levallois.
CDI, Salaire 36K€ en fixe + Variable .

Si tu as une formation RH (mais pas obligatoire) et que tu as déjà fait plusieurs années dans le recrutement, alors c’est toi que je cherche.

Encore une fois le ton est froid, désincarné, mou (et le tutoiement n’y change rien). On pourrait faire le même message pour acheter une Twingo ou un aspirateur. Qu’est-ce qu’un robot ne saurait écrire ? Et quand je dis un robot…on ne parle pas d’une technologie incroyable : une feuille excel avec des macros suffirait.

Pire encore…au début j’avais flouté le nom de l’expéditeur, pour ne pas faire dans le lynchage. Mais il s’avère qu’une recherche Google nous apprend qu’il s’agit d’un faux nom. Le tout en cci s’il vous plaît. Peut-on vraiment faire plus robotique que ça ?

En vérité, le rêve inavoué de la majorité des gens qui recrutent que j’ai croisé ce serait de pouvoir avoir un robot qui copient-collent les annonces et les messages à leur place. Mais tout en conservant leur poste.

La mauvaise foi et la naïveté

C’est rarement une bonne idée de demander à un recruteur si les robots vont le remplacer. De la même manière que c’est une mauvaise idée de demander « et ce bateau que vous avez construit, il est vraiment fiable ? Comment vous m’avez dit qu’il s’appelait déjà ? Le Titanic ? ». Le conflit d’intérêt est évident. « Si les dindes avaient le droit de vote, on mangerait plutôt du poulet au réveillon de noël ».

En vrai on ne vous demandera pas votre avis. Encore une fois, je ne dis pas que je sais de quoi sera fait le futur. Donc je ne sais pas si on verra des robots recruteurs. Mais s’ils arrivent, on ne vous demandera pas ce que vous en pensez. On demandera aux candidats. De la même manière qu’on s’en fiche de ce que pensent les chauffeurs de taxi de l’arrivée d’Uber. On demande aux clients ce qu’ils en pensent. Vous savez, ces candidats à qui on ne répond pas aujourd’hui ? À quel point pensez-vous qu’ils viendront nous défendre ?

Je me rappelle, après avoir été refusé pour la énième fois dans un taxi parisien en rentrant de soirée, je me suis dit « j’espère qu’un jour ils le paieront très cher ». Or, quasiment tous les parisiens ont vécu cette histoire (ou ont entendu un ami). Par conséquence, personne n’est venu pleurer sur le sort des taxis. Là c’est pareil : après avoir négligé pendant des années les candidatures, personne ne viendra nous sauver. Et on l’aura mérité.

C’est toujours la même chose lorsque vous avez une innovation qui détruit des emplois. Il y a toujours le même paradoxe entre le citoyen-salarié et le citoyen-consommateur. Le consommateur est toujours spontanément en faveur du travail le dimanche. En revanche, le salarié est beaucoup moins spontanément en faveur du travail le dimanche. J’ai d’ailleurs eu des conversations surréalistes avec des gens qui m’expliquaient qu’ouvrir les magasins le dimanche était une bonne idée…pour que EUX puissent aller faire les courses le dimanche. Eux-mêmes n’étant pas prêts à travailler le dimanche.

À chaque fois que j’entends un recruteur dire « rien ne remplacera le contact humain dans le recrutement », je me demande d’abord « mais ? Quel contact humain ? » puis immédiatement après : « de toutes façons on s’en fiche de ton avis ». Parce que, par définition, tout le monde pense que son travail est fondamental. Vous avez même des gens pour vous expliquer, en toute bonne foi, que gérer la paie est une activité qu’on ne peut pas automatiser. Et…ces gens là sont toujours reliés de près ou de loin au métier. C’est une réaction humaine.

L’autre naïveté que j’observe c’est de croire que le monde évolue toujours de manière linéaire. Encore une fois je ne prédis pas le futur mais quand on observe l’histoire, les changements ont plutôt tendance à obéir à des lois exponentielles. C’est-à-dire que pendant très longtemps on a parlé de téléphone à écran tactile sans que rien ne se passe. J’entends parler de smartphone (PDA) depuis que je suis né. Puis d’un coup ça décolle brutalement et en moins de 5 ans vous avez des smartphones partout et Nokia passe de numéro 1 des téléphones à la faillite. De la même manière, on a parlé de faire voler des êtres humain pendant des millénaires, comme on parle d’un rêve inespéré. Puis un jour, un avion décolle et en moins de 10 ans vous avez des avions partout.

L’exemple des crises financière est saisissant. Rappelez-vous de la crise des subprimes de 2007. Les choses ne sont pas effondrées progressivement. Tout semblait aller bien, encore la veille, et d’un coup tout s’effondre brutalement.

Qui regrettera les recruteurs ?

La vraie question ce n’est pas ce que les recruteurs pensent de leur importance mais bien la perception de l’extérieur. À tort ou à raison. Et malheureusement la perception de l’extérieur est déplorable. Demandez à vos amis s’ils aiment les recruteurs et observez leur réaction. Je viens de le faire et on m’a répondu :

« Les recruteurs c’est comme les vigiles du magasin qui me fouillent à l’entrée. Si je peux les éviter, je les évite, même si je comprends qu’ils servent à réduire la fraude. Je les accepte comme un mal incontournable. Et si de temps en temps je tombe sur un vigile sympa c’est cool, mais ce n’est pas la norme ».

Nombreux sont ceux et celles qui me demandent également pourquoi il faut passer par l’entretien avec un recruteur. Que si ça ne tenait qu’à eux, ils feraient uniquement l’entretien opérationnel. Ils ne voient généralement pas l’intérêt de parler avec quelqu’un qui « ne connaît pas mon métier et me pose des questions sur mes trois défauts ». Sans compter ceux et celles qui racontent leurs mésaventures. Pour rappel : 79% des candidats se sont déjà déplacés en entretien pour n’obtenir aucune réponse par la suite.

On l’oublie vite, mais c’est un métier qui déshumanise bien plus qu’il humanise. Exactement comme habiter dans une grande ville. On finir par banaliser l’inacceptable. Si vous ne prenez pas garde vous avez vite fait de sortir des phrases (je n’en invente aucune) comme :

« Non mais je ne peux pas répondre à tous les candidats qui postulent à l’annonce que j’ai postée »

« Les candidats ne paient pas, c’est le client qui me paie. Pourquoi je devrais améliorer mon message d’approche ?»

« Je mets une annonce parce qu’on m’oblige à le faire, mais je ne regarde même pas les CV qu’on m’envoie, j’appuie automatiquement sur supprimer sans lire. »

« Croyez-vous que le recruteur dispose d’assez de temps pour consulter tous les profils ayant commenté son annonce ? »

« J’ai copié-collé un message à 200 contacts et je n’ai eu que des retours inintéressants »

« Vous paraissez plus idéaliste béni oui oui que professionnel du recrutement. Prenons l’exemple, je travaille sur un poste à responsabilités ou le stress est permanent , et où les décisions doivent être prises rapidement voir très rapidement ( cf poste dans la cybersécurité, nucléaire,… ). Si je ne mets pas mon candidat en situation de stress , pour vérifier si il perd ses moyens ou non , c’est une faute professionnelle . Car c’est simplement un prérequis pour le poste. »

« Au final de tout cela, ça ne change pas grand chose lorsqu’on dit que si on est trop méchant en entretien on risque de ne rien tirer du candidat. Car si tel est le cas c’est qu’il n’y a rien à en tirer. Un recruteur ne fait pas d’état d’âme, il est là pour choisir celui qui convient. »

Le contact avec un recruteur est souvent tout sauf humain. C’est même un des métiers où l’interaction est globalement la MOINS humaine. Et attention, je ne parle pas de la personne que vous chouchoutez en entretien. Derrière une personne en entretien, vous en avez 20 qui n’ont obtenu aucune réponse. Ce qui fait que, mathématiquement, en volume les gens ont une image exécrable des recruteurs.

Et ces 20 personnes que l’on a ignoré…elles ne regretteront pas la disparition des recruteurs si elle arrive. Il est même probable qu’elles participent au contraire à cette disparition. Si demain il existait une application qui permettait aux candidats de contourner le recruteur et aux managers de se passer des recruteurs (parce que le tri serait fait par le robot), le tout pour dix fois moins cher qu’un humain, pensez-vous que les managers et les candidats nous défendront ?

D’ailleurs c’est un peu ce que Hired et Talent.io ont entamé dans leur modèle : une plateforme où l’intervention humaine est limitée au maximum.

Conclusion

Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Mais si vous ne voulez pas être remplacés par des robots arrêtez de parler comme de robots. Pour que ce métier soit aimé de l’extérieur, il faut qu’il commence à s’exprimer comme les humains s’expriment. Quand on dit qu’on ne veut pas que le métier soit fait par des robots, ça suppose qu’on essaie au moins de faire les choses d’une manière que les robots ne savent pas faire. Le combat n’est pas perdu d’avance, mais en l’état actuel des choses c’est mal parti. Pour l’instant dans les faits : les robots ont malheureusement DÉJÀ remplacé les recruteurs. Ce n’est pas parce que vous êtes faits de chair et d’os que vous ne vous comportez pas comme un robot.

D’ailleurs, ce sujet de travailler l’écriture et la manière de s’exprimer quand on recrute est un de ceux que l’on travaille le plus actuellement sur #TruAcademy, on vous en dit plus bientôt !

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