Pourquoi Viadeo va disparaître (sans forcément faire d’erreurs) ?

Ça fait plus de deux ans que je pense que le produit actuel de Viadeo va disparaître (sous la forme que l’on connaît). Le sujet est délicat car il y a des emplois en jeu et le simple fait d’annoncer une disparition y contribue. C’est pourquoi je me suis retenu très longtemps de faire cet article. Mais maintenant que les articles sur le sujet commencent à fleurir, l’argument «oiseau de mauvaise augure» n’a plus lieu d’être.

Les phrases que j’ai le plus entendues mais qui ratent le sujet

«Viadeo c’est nul. Le produit n’est pas à la hauteur de celui de «LinkedIn»

Que ce soit vrai ou faux nous n’allons pas ici juger de la qualité du produit. C’est une notion subjective. Ni même du taux d’engagement qui est objectif mais qui rate le sujet. Même avec un produit supérieur la conclusion aurait pu être la même.

«Tu te rends compte, ça a été financé avec nos impôts»

Nous n’allons pas non plus jeter la pierre sur BPI. Car au final c’était probablement le meilleur mouvement stratégique (on verra pourquoi).

« Ils n’auraient pas dû aller en Chine »

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Peut-être, en tout cas pas dans les conditions où ils y sont allés. Mais pour une fois qu’un acteur non-américain essaie de conquérir le marché mondial, on ne peut que saluer l’initiative.

« Ils auraient dû accepter l’offre de rachat de Xing en 2007 »

On ne peut pas juger une décision a posteriori, ça n’a absolument aucun sens ! À l’époque, quand Viadeo venait d’atteindre le million d’utilisateurs en deux ans et que LinkedIn était quasiment inexistant, la bonne décision était-elle vraiment de vendre ? Encore une fois, on ne peut que saluer l’envie d’aller conquérir son marché.

« C’est la malédiction française ! »

Mouais. On ne peut pas à la fois reprocher à Viadeo d’avoir tenté de concurrencer LinkedIn sur le marché mondial et dire que c’est parce qu’ils sont français. On ne peut pas non plus reprocher l’investissement de BPI qui va dans le sens inverse ET dire que c’est la malédiction française. Et puis de toutes façons ce type d’explication relève plus du fantasme pessimiste qu’autre chose (même s’il repose sur un constat fondé).

Maintenant qu’on a désamorcé le sujet, on peut commencer !

Le web est structurellement brutal

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Les startups ont bouleversé les modèles économiques. Et dans leur nouveau paradigme économique, la lutte finit presque toujours par laisser sur le marché un champion, un challenger et un ou des figurants. Par exemple, le taux de pénétration de Google en France est de 95% (champion), Bing est à 2% (figurant), Yahoo! à 1% (figurant).

Facebook s’accapare 66% des revenus publicitaires sur les réseaux sociaux (champion), Twiter n’en recueille que 9% (challenger).

En France, le taux de pénétration d’Android est de 70% (champion), celui d’iOS est de 17% (challenger) et Windows Phone 11% (figurant).

Ce sont des chiffres sidérants et quasi-soviétiques ! Les économies traditionnelles ne fonctionnent pas du tout de cette manière. Dans la grande distribution par exemple, les 5 premiers se tiennent tous entre 20% et 7% de parts de marché. Dans l’automobile, Peugeot-Citroën détient environ 26% du marché, Renault a environ 23%, Volkswagen à peu près 7%.

Je pourrais continuer indéfiniment mais vous avez compris : sur le web les marchés ont tendance à être presque entièrement capté par un seul acteur. C’est une règle du jeu. Ce n’est donc pas qu’une question de qualité et le gagnant n’est pas forcément le « meilleur » (ça peut être le premier arrivé, le plus agressif ou le mieux financé).

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Et à ce jeu les américains (ou plutôt la Silicon Valley) sont bien mieux armés que n’importe qui dans le monde. Déjà parce que la taille de leur marché domestique (320 millions d’américains) permet à leurs startups d’atteindre une masse critique sans même avoir besoin d’aller à l’international au début. Ensuite, parce qu’il y a beaucoup plus de capital disponible. En 2014 il y a eu 24 Milliards de dollars investis dans les startups de la Silicon Valley. En France, ce montant n’atteignait même pas le milliard. Enfin, parce que culturellement, les startups de la Valley sont pensées pour viser la première place ou rien.

Cette brutalité structurelle relativise donc la question de la qualité purement technique du produit. L’expérience Google + en est une bonne illustration. Certaines fonctionnalités que proposaient Google + étaient, à l’époque, clairement manquantes sur Facebook. Et je rencontre encore des gens qui sont fans de Google+. Mais la brutalité du web a désigné Facebook comme son champion.

L’effet Highlander

La mauvaise nouvelle c’est que les réseaux sociaux sont une catégorie bien à part du web. Et dans cette catégorie, la loi que l’on vient de décrire est encore pire. Les anglo-saxons disent « the winner takes it all ». On pourrait l’appeler l’effet Highlander : à la fin il n’en restera qu’un debout.

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Pourquoi ? Parce que les réseaux sont soumis à l’effet de réseau. C’est-à-dire que la valeur du réseau augmente avec le nombre d’utilisateurs qui l’utilisent. Quand vous achetez une Twingo, ça ne change pas grande chose pour vous que vous soyez seul(e) où qu’il s’en vende des millions. De même vous pouvez être tout seul à écouter votre musique sur Deezer, même si toute la France utilise Spotify ça ne change rien pour vous. Par contre, si vous êtes tout seul sur Viadeo ou LinkedIn, ça n’a absolument aucun intérêt.

Pire encore, non seulement la valeur du réseau augmente avec le nombre d’utilisateurs mais elle augmente plus rapidement que le nombre d’utilisateurs (et non pas juste proportionnellement). Entre deux personnes il n’y a qu’une interaction possible. Entre quatre personnes il y en a déjà 6 ! La taille du réseau a doublé mais les interactions ont sextuplé.

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C’est pour ça que quand vous avez moins de 50 relations sur LinkedIn ou Viadeo, il ne se passe pas grand chose alors que si vous dépassez 200 vous avez d’un coup de la vie dans le réseau. Le concept de masse critique vient de là. En-dessous d’un certain nombre d’utilisateurs, le réseau a peu de valeur.

La valeur d’un réseau social professionnel est maximale quand tous les professionnels y sont. Ce qui veut dire qu’en tant qu’utilisateur j’ai tout intérêt à être sur le réseau numéro un. C’est ce qui explique qu’une fois qu’un numéro un se dessine, il s’envole en tête de manière exponentielle et soudaine. Qui aujourd’hui va encore sur MySpace ? Une fois que Facebook est passé franchement devant, l’écart n’a fait que se creuser de plus en plus vite.

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Et donc en tant qu’utilisateur j’ai intérêt à être sur le réseau social professionnel avec le plus de membres actifs. Or, au niveau mondial LinkedIn est écrasant, au niveau français l’écart commence à se creuser. En tant qu’utilisateur lambda, qu’est-ce que ça peut me faire que Viadeo ait un taux de pénétration supérieur sur les PME ? Ce qui va jouer sur ma perception du réseau c’est uniquement le nombre de membres actifs.

Malheureusement, comme souvent, l’intérêt du consommateur contredit frontalement l’intérêt du salarié ou du citoyen. Parce que c’est une pépite française et que d’avoir un acteur unique américain est une folie. Il y a de vraies raisons d’avoir un LinkedIn français. Tout comme il y aurait de vraies raisons d’avoir un Google français. Mais le marché ne fonctionne pas ainsi. C’est le consommateur qui désigne son gagnant.

Une autre raison qui fait que les réseaux sociaux professionnels ont tendance à virer au monopole c’est qu’ils établissent un standard. Le profil LinkedIn devient un standard. On peut postuler avec LinkedIn sur plusieurs sites carrière par exemple. Or, par défnition, quand quelque chose devient un standard, l’utilisateur a tout intérêt à ce qu’il n’y ait qu’une seule référence.

Dans ce cas peut-on être le champion mais à l’échelle locale ?

C’est une question difficile. Les résultats de Xing laissent penser que c’est possible. Mais se pose la question de l’encerclement. Si tous les français sont sur Viadeo, comment font-ils pour interagir avec tous leurs contacts à l’international ? C’est pour ça que la phrase : « Viadeo c’est pour la France et LinkedIn pour l’international » révélait à elle seule le problème : c’est un constat d’échec consternant en termes de confort utilisateur  !

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Néanmoins, si on domine son marché local, la valeur est optimale tant que les utilisateurs restent au niveau local. En Angleterre tout le monde utilise bien les pouces et les pieds. Et tant qu’on reste en Angleterre il n’y a pas de souci. En revanche dès qu’on veut interagir en dehors des frontières on va devoir gérer la conversion avec le système métrique.

Mais c’est faisable (puisque Xing y arrive). Cependant, c’est un numéro d’équilibriste assez délicat qui demande une part de chance et un parcours sans faute. Et encore… C’est pourquoi je vous disais au début que Viadeo peut disparaître sans même faire d’erreurs, simplement à cause de ce phénomène d’effet Highlander. Même si vous mettiez exactement deux copies conformes sur le marché (LinkedIn 1 et LinkedIn 2), vous en auriez quand même un qui finirait par capter tout le marché.

Mais alors, tout est perdu ?

Rien n’est jamais perdu même si le produit Viadeo en tant qu’équivalent du produit LinkedIn va être attiré inexorablement vers la fin. Ce qui ne veut pas dire que l’entreprise ne peut pas se réinventer. Après tout, Nokia a commencé son histoire par une usine de papier. On peut toujours se réinventer.

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D’autant plus que les actifs de Viadeo sont impressionnants. On l’oublie souvent. En France, Viadeo a par exemple trois fois plus d’utilisateurs inscrits que Twitter. Il y a très peu de réseaux dans le monde qui sont arrivés à dépasser la barre des 50 millions d’inscrits. C’est un véritable exploit.

Il n’y a donc aucune raison incontournable que l’entreprise Viade coule avec le produit Viadeo. Mais force est de constater que son avenir produit en tant qu’équivalent de LinkedIn est sérieusement compromis. Car il ne peut en rester qu’un, et ce sera LinkedIn. Et de cela Viadeo n’aura pas à rougir, c’est la loi brutale des réseaux sociaux.

 

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