Et si on recrutait à pile ou face ?

On m’a demandé de prendre la parole pendant un événement dont le thème est le jeu. Pour faire le lien entre jeu et recrutement. Plutôt que de faire un énième sujet sur la gamification dans le recrutement, j’ai cherché un autre axe. Et c’est Mohamed qui m’a proposé : et si on recrutait à pile ou face ?.

Au début j’ai pris le sujet à la rigolade. Et plus je l’explorais mentalement, plus je me disais qu’en fait il y avait vraiment quelque chose à dire d’intéressant sur le sujet.

Et si on s’en remettait au hasard pour recruter ?

C’est déjà pas mal le cas

Vous avez bien lu. J’affirme que le hasard a déjà une énorme part d’influence dans le recrutement. À un tel point que l’on peut se demander si on ne recrute pas d’ores et déjà au hasard.

Prenons les annonces par exemple. Le flux entrant de candidatures est de plus en plus aléatoire. Sur 100 retours d’annonce, combien sont complètement hors-sujet ? J’entends des recruteurs avancer un chiffre de 80% de candidatures hors-sujet. Ce qui nous laisse moins de 20% de candidatures pertinentes. C’est un taux digne d’un tirage au sort, non ?

Et si ce n’était que ça… Vous vous rappelez de l’étude de la Harvard Business Review de mai 2014 qui disait que les algorithmes étaient plus efficaces dans la prédiction de performance des recrutés qu’un humain ?

On avait retenu que l’algorithme faisait 29%, que les humains faisaient 22%. Et donc l’algorithme fait 25% de mieux (puisque 22/29=0,75). Mais que représentaient le 22 et le 29% ? 22% de quoi ? 29% de quoi ? Ça n’a aucun sens dit comme ça.

En fait ce ne sont pas des pourcentages absolus mais des différentiels. C’est donc des améliorations de +22% et +29%. Mais +22 d’amélioration par rapport à quoi ? Par rapport au hasard. C’est déjà bien plus clair mais pas encore tout à fait élucidé. Car « par rapport au hasard » peut vouloir dire plusieurs choses différentes. Malheureusement je n’arrive pas à mettre la main sur l’étude originale dans les archives. Néanmoins une chose est sûre : +22% par rapport au hasard, c’est nul !

Quand on pense aux efforts et à l’argent que l’on met dans le recrutement c’est un peu déprimant de se dire qu’on arrive à faire seulement 22% de mieux que le hasard.

Pire encore…vous vous rappelez de l’article « pourquoi 90% des entretiens ne servent à rien » ?

 

http://www.linkhumans.fr/pourquoi-les-entretiens-non-structures-ne-servent-a-rien/

Dedans je vous avais parlé d’une étude sur 85 ans qui analysait notamment l’efficacité des entretiens non-structurés par rapport aux entretiens structurés. On en avait conclut que les entretiens structurés étaient quasiment deux fois plus efficaces que les entretiens non-structurés.

Mais nous n’avions pas été dans le détail. En fait ce que dit l’étude c’est que la prédiction d’un entretien non-structuré est corrélée à 14% avec la réalité future ensuite. Et que celle d’un entretien structuré est corrélée à 26%

(Et en vrai c’est encore plus complexe puisque ce qui est vraiment dit c’est que r²=0,14 et 0,26 …ce qui parlera davantage pour ceux et celles qui ont des notions de régression linéaire)

(Très) Grosso modo , cela veut dire que même dans le cas d’un entretien structuré, il y a 74% du phénomène qui reste aléatoire. Ou plutôt qui échappe à l’entretien, car en vrai la performance future dépend aussi de la relation future avec le manager par exemple.

Sans surprise, la graphologie ne fait que 2% dans cette étude. Ce qui la rend, avec la marge d’erreur, statistiquement identique au hasard. Or, 95% des cabinets de recrutement déclaraient utiliser la graphologie en 1999 (je serais curieux d’avoir des chiffres plus récents). On a donc déjà bien utilisé le hasard pour recruter, même si on ne le savait pas. Et certains recruteurs continuent bel et bien d’utiliser la graphologie, donc le hasard.

Comment utiliser le hasard positivement ?

Jusqu’ici, on a envisagé le hasard comme étant une chose mauvaise en soi pour le recrutement. Mais est-ce vraiment le cas ? Quand le hasard est orienté, c’est-à-dire quand il renforce nos biais cognitifs c’est en effet dommageable. En effet, moins vos méthodes de recrutement sont rigoureuses et plus elles favorisent les biais naturels.

Mais si on imagine un hasard rigoureux, un vrai tirage au sort on peut se dire qu’on observera au moins un effet positif. En effet, un tirage au sort permettrait de résoudre les problèmes de « diversité ». J’utilise ici volontairement ce mot ignoble entre guillemets car je vous prépare un article pour expliquer en quoi la diversité est une insulte inventée par des consultants et des politiciens. Au même titre que la génération Y.

http://www.linkhumans.fr/generation-y-insulte-inventee-consultants/

 

A priori, si les recrutements étaient strictement tirés au sort, les proportions en entreprise seraient strictement représentatives des proportions de la population.

Et même en termes de taux de roulement du chômage, on aurait probablement quelque chose de plus égalitaire. Au lieu d’avoir des chômeurs de longue durée, les rôles s’alterneraient.

Bon…on aurait aussi des effets négatifs. Il est probable que, même avec une formation, tout le monde ne puisse pas faire tous les métiers. Donc on ne peut pas faire un vrai tirage au sort neutre. Il y a déjà un biais d’échantillonnage à ce niveau.

Et puis, la logistique d’application semble compliquée. Peut-on quand même trouver une voie hybride qui intègrerait non pas totalement mais partiellement le tirage au sort ?

Un tirage au sort partiel

Au final, j’ai trouvé deux configurations simples et applicables (il doit y en avoir plus). La première c’est un tirage au sort en amont du processus de recrutement. C’est-à-dire qu’au moment de sélectionner les candidatures de l’annonce, on fait simplement un tirage au sort de celles qui seront reçues en entretien.

Le problème c’est qu’on disait au début que l’annonce était déjà soumis à une forte dose d’aléatoire avec un gros taux de candidatures hors-sujet. On risque de n’arriver à rien de plus que de se rajouter du travail.

La deuxième configuration c’est un tirage au sort en aval du processus de recrutement. C’est-à-dire après les entretiens, une fois qu’on hésite entre deux candidats. Vous savez, cette situation où vous avez deux candidats qui ont traversé toutes les étapes avec succès. Deux candidats (ou plus) dont vous pensez qu’ils peuvent prendre le poste.

En général que faisons-nous dans ce type de situation ? On se repose sur des critères subjectifs et souvent injustes. Des critères déjà proche du hasard finalement. Du coup, plutôt que de faire preuve d’injustice, pourquoi ne pas simplement tirer à pile ou face ?

Conclusion

J’ai commencé à aborder ce sujet en me disant que c’était une blague et au final cette dernière proposition a fini par vraiment susciter en moi une interrogation, voire une adhésion.

Et si on départageait vraiment les candidats validés par un tirage au sort ? Vous en pensez quoi, une fois que vous avez dépassé la réaction intuitive de : « non mais c’est pas possible » ?

Voilà qui conclut cette idée un peu folle. Si cet article vous a plu, je vous invite à vous inscrire aux saveurs du recrutement.

 

http://www.linkhumans.fr/28-jours-de-surprises-recruteurs/

C’est en créant ce programme email que j’ai commencé à rédiger un format qui s’appelait « l’idée folle du jeudi » et qui avait été particulièrement apprécié dans les retours de satisfaction. Donc, attendez-vous à voir  prochainement sur ce blog d’autres idées un peu folles de temps en temps !

 

Si vous voulez en savoir plus, retrouvez moi sur #TruAcademy où j’analyse toutes ces données !

 

Les commentaires