GoJob, Bruce, Qapa, Brigad, Vit-on-job… les start-ups qui veulent faire de l’intérim sans agence et avec une appli se multiplient. Je suis notamment impressionné par les montants levés pour attaquer le marché de l’intérim. Ils veulent tous « dépoussiérer » le marché de l’intérim.
Qui sont ces acteurs ? Que veulent-ils ? Comment les acteurs traditionnels du marché réagissent ? Quel avenir pour l’intérim et notamment les agences physiques ? Et si finalement ces start-ups n’attaquaient pas un nouveau marché ?
Ce sont autant de questions qui m’agitent depuis plusieurs semaines et je dois dire que le marché semble mûr pour se transformer.
Le marché français est un des premiers marchés de l’intérim au monde
Vous avez bien lu, la France est un des 1er marchés de l’intérim au monde avec un marché estimé à 26 milliards d’euros.
La France est souvent le 1er marché pour Manpower, Randstad ou Adecco. Les filiales françaises ont tellement d’influence sur la maison mère que les dirigeants de ces filiales finissent souvent au board comme c’est le cas pour Alain Dehaze pour Adecco.
La France capitale de l’intérim et donc des start-ups de l’intérim ?
C’est toute la question même si je ne suis pas loin de l’affirmer. J’ai regardé ce qui se faisait dans les autres pays et il y a déjà des acteurs mais le marché n’est pas aussi actif que le marché français. Vous avez par exemple Wonolo qui est une start-up financée notamment par Coca-cola qui veut rendre l’intérim aussi simple que commander un Uber (ou BlueCrew dans le même genre). Work Genius va encore plus loin et embauche elle-même les salariés qu’elle forme et gère et elle propose ses salariés aux entreprises à partir d’une application en format géolocalisé.
En France, Qapa a levé 11 millions d’euros, Brigad a levé 2,2 millions d’euros pour son appli spécialisée dans la restauration. Et de nombreux acteurs frappent à la porte : GoJob, Bruce, Vit-on-job, MisterTemp, Welljob (et ses bornes interactives) (il en manque probablement dans cette liste, n’hésitez pas à les rajouter en commentaires).
Les investisseurs pensent qu’il y a un marché à attaquer et ils font avec des moyens conséquents. Il y aura clairement peu de vainqueurs mais la course est lancée et les français sont en 1ère ligne.
Que proposent exactement ces start-ups de l’intérim ? Comment vont-elle s’y prendre ?
L’intérim sans agences ?
Ces start-ups proposent toutes la même chose : plus besoin de point physique mais une mise en relation rapide avec l’employeur avec une appli sur un téléphone ou une plateforme dédiée le tout géolocalisé (Brigad utilise les SMS pour la mise en relation). Ces services vont notamment s’occuper de faire les contrats et d’établir les paiements directement. Autrement dit le juridique et l’administratif sont gérés en quelques clics (Qapa a par exemple un service juridique pour vérifier les contrats et les mettre à jour quand il y a des changements de législation).
La valeur ajoutée de la proposition réside principalement dans le service de matching pour rapprocher l’annonce avec les candidats potentiels s’appuyant notamment sur des notifications sur le téléphone (ou des SMS) et un profil candidat. J’habite dans une petite ville et je cherche un boulot d’intérim ? L’appli me propose des annonces près de chez moi.
L’évaluation peut être faite à distance une fois le profil identifié ou bien directement chez l’employeur… mais elle ne sera jamais faite par ces nouveaux acteurs contrairement aux autres acteurs de l’intérim.
Pour rappel, l’intérim est la mise en relation entre un employeur qui a des besoins temporaires et une personne qui cherche des missions. Cette mise en relation peut être directe, c’est l’employeur qui réalise les fiches de paie et tout l’administratif, l’agence d’intérim ne fait que la mission de recrutement ou indirecte, c’est l’agence d’intérim qui emploie la personne et l’employeur paie le service complet.
Dans cette intermédiation, le rôle de l’agence d’intérim est un rôle très local de mise en relation sur des besoins très souvent non cadres (ouvrier, garçon de café…) pour des TPE/PME.
Par ailleurs, l’agence d’intérim va souvent évaluer la personne et fidéliser des intérimaires avec lesquels elle aura établi une relation de confiance qu’elle pourra alors proposer à ses clients. La notion de relation et de confiance sont souvent clés dans la gestion des intérimaires. C’est probablement une des limites du modèle des start-ups (j’ai été intérimaire pour la foire au vin de Leclerc en 1997 et mon agence n’envoyait que des gens qu’elle connaissait à son fidèle client).
Pourtant l’intérim peut largement être « digitalisé » (j’utilise ce terme que je n’aime pas mais c’est l’équivalent de désintermédié).
Les start-ups dans l’intérim partent de 4 hypothèses pour essayer de percer le marché :
1) Le coût : les start-ups proposent de diviser le prix de la prestation par 2 ou par 3. Ce n’est clairement pas le même service car l’agence implique une évaluation et un suivi. Mais certains métiers ont-il besoin de cette évaluation et de ce suivi ? Est ce que l’évaluation ne pourrait pas se faire à la façon de LinkedIn avec des recommandations ou des étoiles ?
2) La géolocalisation : la proximité est remplacée par la géolocalisation et toutes les personnes ont aujourd’hui un Smartphone donc on peut toucher tous les candidats. La géolocalisation permet l’hyper proximité !
3) Toucher de nouveaux clients : Ce service peut s’adresser à des entreprises qui traditionnellement n’ont jamais utilisé d’agence d’intérim car trop chronophage, trop cher ou ne savait pas. L’idée est d’augmenter et d’élargir la part du gâteau de l’intérim en s’adressant à des entreprises qui ne le feraient pas.
4) L’immédiateté : c’est le gros plus de ces acteurs de l’intérim. Là où les agences d’intérim traditionnelles peuvent remplacer des besoins facilement prévisibles (congé maternité, besoins saisonniers récurrents), elles ont plus de mal avec des besoins non récurrent et non prévisibles. L’entreprise a besoin pour la semaine prochaine de 2 personnes suite à un départ ou le gain d’un marché, c’est là où ces acteurs veulent agir. Leur objectif est donc de pouvoir offrir des profils très rapidement.
Je pense que clairement cette offre correspond plus à des métiers comme ceux de la logistique, l’hôtellerie-restauration ou des métiers à fort turnover et saisonniers sans des questions de risque comme dans le BTP. Mais si demain on peut mettre une évaluation et des scoring de profils comme ce que font des plateformes comme Hopwork ou Elance, qu’est ce qui empêcherait que de plus en plus de secteurs soient touchés ?
Dans les articles que j’ai parcourus, ces start-ups ont déjà généré des revenus et signé des contrats (Vit-On-Job avec Aéroport de Paris par exemple) et semblent affiner leur modèle économique.
Face à ces nouveaux acteurs, que font les acteurs traditionnels ? Comment se positionnent-ils ?
Quelle réaction pour les acteurs traditionnels de l’intérim ?
Randstad et Adecco ont lancé leur propre solution d’agence totalement en ligne avec Randstad Direct et Mon agence en ligne.
Manpower a « digitalisé » la gestion de ses intérimaires notamment la partie administrative et le suivi mais n’a pas encore lancé d’offre spécifique. Tous les autres acteurs travaillent aussi sur des projets d’agence en-ligne, ils ont tous clairement saisi les enjeux.
Un expert de l’intérim me racontait cette anecdote l’autre jour. C’est Manpower qui a lancé il y a plus de 10 ans les 1er essais d’agence sans personne avec des bornes. Les personnes pouvaient s’inscrire directement auprès de bornes et remplir des informations… elles pouvaient déposer leur CV et faire tout sans interaction humaine. Le service n’a pas survécu car trop en avance mais l’idée était déjà là !!
Le plus intéressant est le partenariat noué entre Randstad direct et CornerJob pour avancer encore plus loin et combiner l’outil de matching et de mise en relation de CornerJob avec la gestion administrative et paie de Randstad Direct. C’est un partenariat très malin et j’ai hâte de voir les résultats.
La situation est pourtant complexe car comment optimiser ses agences physiques sans chercher à les concurrencer pour ces acteurs ?
C’est même un sujet sensible avec les emplois qui sont à la clé et le risque de grogne interne.
Si je suis une TPE et que je trouve mes candidats en un clic pour 2 fois moins cher avec une qualité de service correcte, pourquoi je passerais par mon agence ?
Que faire ? Quelle solution ?
Randstad Direct a opté pour une solution simple qui combine la rapidité du digital avec l’exploitation de sa base de données en proposant des candidats pré-qualifiés. C’est certainement le chemin qu’Adecco va prendre avec Mon agence en ligne.
C’est le chemin que les start-ups ne peuvent pas prendre.. elles n’ont pas les agences physiques ni les candidats qui vont avec. Pourtant, je pense que les acteurs de l’intérim devraient aller plus loin et ne pas hésiter à lancer une offre qui pourrait les cannibaliser.
Peter Drucker explique très bien dans son livre de 1983 « Innovation and Entrepeneurship » que toute innovation de rupture avec son propre business ne pourra jamais naitre dans sa propre entreprise. Les tensions, les ressources seraient trop fortes pour permettre à cette innovation de naitre et de se développer au sein de l’entreprise. La seule solution serait de créer une entité totalement indépendante avec ses propres moyens et ses propres fonds (voire des personnes qui n’ont jamais travaillé dans l’entreprise).
Autrement dit les acteurs traditionnels devraient aussi lancer des services similaires à ceux des start-ups sans forcément s’appuyer sur leur propre marque avec des équipes totalement indépendantes qui ne viennent pas toutes de l’intérim. Je comprends que ce soit difficile à vendre en interne…
En tout cas, le secret d’espoir de beaucoup de ces start-ups de l’intérim sera de se faire racheter par ces acteurs qui n’ont pas pu démarrer ce changement en interne !
La question qui se pose au final est quel modèle pour l’intérim dans le futur ? Qui va gagner ?
Quel modèle pour l’intérim dans le futur ?
D’un côté vous avez des start-ups de l’intérim qui se lancent pour développer tout un nouveau pan de l’intérim sans agence physique et de l’autre, vous avez des acteurs de l’intérim qui grossissent en ouvrant de nouvelles agences physiques et explorent des modèles hybrides digital/physique.
Oui vous avez bien lu, certains acteurs se développent en ouvrant de nouvelles agences dans des lieux précis pour conquérir de la part de marché. Les objectifs ne sont pas les mêmes que les start-ups ni les coûts d’ailleurs. On ouvre ainsi des agences sur des territoires pour conquérir le territoire à court terme avec un coût important pour plus tard le rentabiliser, une fois le territoire conquis.
Dans tous les cas, les 2 modèles, agence physique et start-up sans agence peuvent cohabiter ensemble en répondant à des besoins différents pour des acteurs légèrement différents. L’erreur fondamentale des acteurs de l’intérim serait de croire que cette situation puisse perdurer. Relisez l’excellent livre « Innovator’s dilemna » de Clayton Christensen avec les mini mills qui ont remonté toute l’échelle de valeur de la production de l’acier.
Les start-ups gagnantes de l’intérim vont petit à petit remonter l’échelle de valeur et attaquer des marchés plus traditionnels pour proposer un service plus simple et encore plus local tout en proposant des services d’évaluation. Aujourd’hui leur priorité est l’hôtellerie et la restauration ou bien la logistique mais demain, rien ne les empêche d’aller encore plus loin.
Il y a clairement un créneau pour un intérim sans agence, simple et peu onéreux. Mais il y aussi besoin d’un intérim de qualité avec de l’évaluation et de la pré-qualification. Qui pourra faire les 2 ??
Le vrai concurrent caché de l’intérim n’est peut-être pas les start-ups sans agences mais les plateformes de freelance ? Et si ces plateformes de freelance devenaient à leur tour des start-ups de l’intérim ?
Je pense clairement que le freelance et le modèle du freelancing vont de plus en plus bousculer l’intérim. Je discutais l’autre jour avec une RH dans le luxe qui me disait qu’elle avait arrêté d’utiliser l’intérim pour se besoins ponctuels et qu’elle utilisait une plateforme de freelance (Hopwork dont j’ai parlé dans les tendances recrutement 2017). Elle m’a expliqué que c’était plus simple et plus rapide.
D’ailleurs, à mon échelle, il n’y a presque plus d’évènement #Tru où l’on ne parle pas de la place des freelances et de leur recrutement.
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